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154 Lois de la variation.  

drait cependant pas pousser cet argument trop loin ; en effet, nos animaux domestiques descendent probablement de plusieurs souches sauvages ; le sang, par exemple, d’un loup des régions tropicales et d’un loup des régions arctiques peut se trouver mélangé chez nos races de chiens domestiques. On ne peut considérer le rat et la souris comme des animaux domestiques ; ils n’en ont pas moins été transportés par l’homme dans beaucoup de parties du monde, et ils ont aujourd’hui un habitat beaucoup plus considérable que celui des autres rongeurs ; ils supportent, en effet, le climat froid des îles Féroë, dans l’hémisphère boréal, et des îles Falkland, dans l’hémisphère austral, et le climat brûlant de bien des îles de la zone torride. On peut donc considérer l’adaptation à un climat spécial comme une qualité qui peut aisément se greffer sur cette large flexibilité de constitution qui paraît inhérente à la plupart des animaux. Dans cette hypothèse, la capacité qu’offre l’homme lui-même, ainsi que ses animaux domestiques, de pouvoir supporter les climats les plus différents ; le fait que l’éléphant et le rhinocéros ont autrefois vécu sous un climat glacial, tandis que les espèces existant actuellement habitent toutes les régions de la zone torride, ne sauraient être considérés comme des anomalies, mais bien comme des exemples d’une flexibilité ordinaire de constitution qui se manifeste dans certaines circonstances particulières.

Quelle est la part qu’il faut attribuer aux habitudes seules ? quelle est celle qu’il faut attribuer à la sélection naturelle de variétés ayant des constitutions innées différentes ? quelle est celle enfin qu’il faut attribuer à ces deux causes combinées dans l’acclimatation d’une espèce sous un climat spécial ? C’est là une question très obscure. L’habitude ou la coutume a sans doute quelque influence, s’il faut en croire l’analogie ; les ouvrages sur l’agriculture et même les anciennes encyclopédies chinoises donnent à chaque instant le conseil de transporter les animaux d’une région dans une autre. En outre, comme il n’est pas probable que l’homme soit parvenu à choisir tant de races et de sous-races, dont la constitution convient si parfaitement aux pays qu’elles habitent, je crois qu’il faut attribuer à l’habitude les résultats obtenus. D’un autre côté, la sélection naturelle doit tendre inévitablement à conserver les individus doués d’une constitu-