Page:Darwin - L’Origine des espèces (1906).djvu/152

Cette page a été validée par deux contributeurs.
134 La sélection naturelle.  

entendu, le criterium de l’intelligence n’existe pas ; en effet, quelques botanistes rangent parmi les plantes les plus élevées celles qui présentent sur chaque fleur, à l’état complet de développement, tous les organes, tels que : sépales, pétales, étamines et pistils, tandis que d’autres botanistes, avec plus de raison probablement, accordent le premier rang aux plantes dont les divers organes sont très modifiés et en nombre réduit.

Si nous adoptons, comme criterium d’une haute organisation, la somme de différenciations et de spécialisations des divers organes chez chaque individu adulte, ce qui comprend le perfectionnement intellectuel du cerveau, la sélection naturelle conduit clairement à ce but. Tous les physiologistes, en effet, admettent que la spécialisation des organes est un avantage pour l’individu, en ce sens que, dans cet état, les organes accomplissent mieux leurs fonctions ; en conséquence, l’accumulation des variations tendant à la spécialisation, cette accumulation entre dans le ressort de la sélection naturelle. D’un autre côté, si l’on se rappelle que tous les êtres organisés tendent à se multiplier rapidement et à s’emparer de toutes les places inoccupées, ou moins bien occupées dans l’économie de la nature, il est facile de comprendre qu’il est très possible que la sélection naturelle prépare graduellement un individu pour une situation dans laquelle plusieurs organes lui seraient superflus ou inutiles ; dans ce cas, il y aurait une rétrogradation réelle dans l’échelle de l’organisation. Nous discuterons avec plus de profit, dans le chapitre sur la succession géologique, la question de savoir si, en règle générale, l’organisation a fait des progrès certains depuis les périodes géologiques les plus reculées jusqu’à nos jours.

Mais pourra-t-on dire, si tous les êtres organisés tendent ainsi à s’élever dans l’échelle, comment se fait-il qu’une foule de formes inférieures existent encore dans le monde ? Comment se fait-il qu’il y ait, dans chaque grande classe, des formes beaucoup plus développées que certaines autres ? Pourquoi les formes les plus perfectionnées n’ont-elles pas partout supplanté et exterminé les formes inférieures ? Lamarck, qui croyait à une tendance innée et fatale de tous les êtres organisés vers la perfection, semble avoir si bien pressenti cette difficulté, qu’il a été conduit à supposer que des formes simples et nouvelles sont