Page:Darwin - L’Origine des espèces (1906).djvu/119

Cette page a été validée par deux contributeurs.
101
Persistance du plus apte.

est de plus en plus recherchée par les insectes, ceux-ci, agissant inconsciemment, portent régulièrement le pollen de fleur en fleur ; plusieurs exemples frappants me permettraient de prouver que ce fait se présente tous les jours. Je n’en citerai qu’un seul, parce qu’il me servira en même temps à démontrer comment peut s’effectuer par degrés la séparation des sexes chez les plantes. Certains Houx ne portent que des fleurs mâles, pourvues d’un pistil rudimentaire et de quatre étamines produisant une petite quantité de pollen ; d’autres ne portent que des fleurs femelles, qui ont un pistil bien développé et quatre étamines avec des anthères non développées, dans lesquelles on ne saurait découvrir un seul grain de pollen. Ayant observé un arbre femelle à la distance de 60 mètres d’un arbre mâle, je plaçai sous le microscope les stigmates de vingt fleurs recueillies sur diverses branches ; sur tous, sans exception, je constatai la présence de quelques grains de pollen, et sur quelques-uns une profusion. Le pollen n’avait pas pu être transporté par le vent, qui depuis plusieurs jours soufflait dans une direction contraire. Le temps était froid, tempêtueux, et par conséquent peu favorable aux visites des abeilles ; cependant toutes les fleurs que j’ai examinées avaient été fécondées par des abeilles qui avaient volé d’arbre en arbre, en quête de nectar. Reprenons notre démonstration : dès que la plante est devenue assez attrayante pour les insectes pour que le pollen soit régulièrement transporté de fleur en fleur, une autre série de faits commence à se produire. Aucun naturaliste ne met en doute les avantages de ce qu’on a appelé la division physiologique du travail. On peut en conclure qu’il serait avantageux pour les plantes de produire seulement des étamines sur une fleur ou sur un arbuste tout entier, et seulement des pistils sur une autre fleur ou sur un autre arbuste. Chez les plantes cultivées et placées, par conséquent, dans de nouvelles conditions d’existence, tantôt les organes mâles et tantôt les organes femelles deviennent plus ou moins impuissants. Or, si nous supposons que ceci puisse se produire, à quelque degré que ce soit, à l’état de nature, le pollen étant déjà régulièrement transporté de fleur en fleur et la complète séparation des sexes étant avantageuse au point de vue de la division du travail, les individus chez lesquels cette tendance augmente de plus en plus