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DU CROISEMENT COMME CAUSE.

forme à son type, sans tenir ses animaux séparés, ou, ce qui revient au même, sans détruire, à mesure qu’ils se présentent, les individus inférieurs. Dans les contrées peu ou point civilisées, où les habitants ne peuvent pas séparer leurs bêtes, il n’existe que rarement ou jamais plus d’une race de la même espèce. Autrefois, même dans un pays aussi civilisé que l’était l’Amérique du Nord, lorsque tous les moutons étaient mélangés, il n’y avait point de races distinctes[1]. Marshall[2], le célèbre agriculteur, remarquait que dans les moutons qu’on tient dans les enclos, aussi bien que chez les troupeaux gardés en pâturages ouverts, les individus d’un même troupeau ont une grande similitude, sinon uniformité de caractère ; car ils s’apparient librement entre eux, sans pouvoir se croiser avec d’autres sortes ; tandis que dans les parties non encloses de l’Angleterre, les moutons non gardés d’un même troupeau sont loin d’être uniformes, par suite du croisement et du mélange de plusieurs races. Nous avons vu que, dans les différents parcs anglais qui renferment du bétail à demi sauvage, les animaux d’un même parc ont des caractères uniformes, mais qu’ils diffèrent d’un parc à l’autre, parce qu’ils se reproduisent entre eux depuis un grand nombre de générations sans avoir été ni mélangés ni croisés.

Il n’est pas douteux que le nombre considérable de variétés et de sous-variétés de pigeons, qui peut être d’environ cent cinquante, ne soit en grande partie dû à ce que, différant en cela des autres oiseaux domestiques, ils s’apparient par couples pour la vie. Les races de chats importées d’autres pays disparaissent par contre bientôt, par suite de leurs habitudes vagabondes et nocturnes, qui rendent impossible tout empêchement à leur libre croisement. Au Paraguay, d’après Rengger[3], dans les parties reculées du pays et probablement par suite de l’effet du climat, le chat a pris des caractères particuliers et subi des modifications qu’il ne présente pas dans les environs de la capitale, à cause des croisements fréquents qui ont lieu dans la localité entre la race indigène et les chats qui arrivent d’Europe. Dans tous les cas de la nature du précédent, les effets

  1. Communications to the Board of Agriculture, vol. I, p. 367.
  2. Review of Reports, North of England, 1808, p. 200.
  3. Saügethiere von Paraguay, 1830, p. 212.