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PRÉPONDÉRANCE DE TRANSMISSION.

rhinum majus) pélorique décrit dans le chapitre précédent, en le fécondant par du pollen de la forme ordinaire, et réciproquement ce dernier, par du pollen pélorique, et pas une des plantes levées des deux semis ne fut affectée de pélorie. Naudin[1] a obtenu le même résultat en croisant la Linaria pélorique avec la forme ordinaire. En examinant les fleurs de quatre-vingt-dix plantes d’Antirrhinum croisés, je ne trouvai leur conformation aucunement affectée par le croisement, sauf que dans quelques-unes le faible rudiment de la cinquième étamine qui est toujours présent, était plus ou moins développé. On ne peut pas attribuer cette disparition complète de la pélorie dans ces plantes croisées à un défaut dans la puissance de transmission ; car, ayant levé de semis une grande quantité de plantes de l’Antirrhinum pélorique, fécondé par son propre pollen, seize d’entre elles, qui seules passèrent l’hiver, furent complètement péloriques comme la plante mère. Nous avons là un bon exemple de la différence qu’il peut y avoir entre l’hérédité d’un caractère et le pouvoir de le transmettre à un produit croisé. Les plantes croisées, semblables au muflier ordinaire, se semèrent d’elles-mêmes, et sur cent dix-sept qui levèrent, quatre-vingt-huit donnèrent le muflier commun, deux se trouvèrent intermédiaires aux formes normales et péloriques ; et trente-sept, entièrement péloriques, avaient donc fait retour à la conformation d’un des grands-parents. Ce cas semble d’abord faire exception à la règle, qu’un caractère qui est présent dans un ascendant, et latent dans l’autre, est généralement prépondérant dans le produit du croisement. Dans toutes les Scrophulariacées et surtout dans les genres Antirrhinum et Linaria, il y a, comme nous l’avons vu précédemment, une tendance latente prononcée à la pélorie ; et il y a aussi, comme nous venons de le voir, une tendance encore plus forte chez les plantes péloriques à reprendre leur conformation normale irrégulière. Il y a donc chez les mêmes plantes deux tendances latentes opposées. Dans les Antirrhinums croisés, la tendance à produire des fleurs irrégulières, mais normales, a prévalu dans la première génération, tandis que la tendance à la pélorie, paraissant s’être fortifiée par l’interposition

  1. O. C., t. I, p. 137.