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REMARQUES FINALES.

On a souvent objecté que les changements reconnus comme étant éprouvés par les races domestiques, n’élucident aucunement ceux qu’on suppose avoir eu lieu dans les espèces naturelles, puisqu’on prétend que les premières ne sont que des formes temporaires, tendant toujours à faire retour à leur forme primitive dès qu’elles reprennent leur liberté. Cet argument a été fort bien combattu par M. Wallace[1], et nous avons donné, dans le treizième chapitre, des faits détaillés montrant qu’on a beaucoup exagéré chez les animaux et végétaux revenus à l’état sauvage, cette tendance au retour, qui existe cependant jusqu’à un certain point. Il serait contraire à tous les principes au développement desquels cet ouvrage est consacré, que les animaux domestiques, placés dans de nouvelles conditions, et contraints à lutter pour leurs besoins contre une foule d’autres concurrents, ne fussent pas à la longue modifiés en quelque manière. Il ne faut pas non plus oublier que, dans tous les êtres organisés, un grand nombre de caractères peuvent demeurer à un état latent, prêts à se développer dans des conditions convenables ; et que, dans les races modifiées depuis une époque récente, la tendance au retour est tout particulièrement forte. Mais l’antiquité de diverses races prouve clairement qu’elles restent presque constantes tant que les circonstances extérieures demeurent les mêmes.

Quelques auteurs ont aussi hardiment soutenu que l’étendue des variations dont nos productions domestiques sont susceptibles, est rigoureusement limitée, mais cette assertion ne repose que sur de bien faibles bases. Que son étendue soit ou non limitée dans une direction particulière quelconque, la tendance à la variabilité générale semble illimitée. Le bétail, le mouton, le porc, ont été domestiqués et ont varié dès les temps les plus reculés, comme le montrent les recherches de Rütimeyer et d’autres, et cependant ces animaux ont tout récemment été améliorés à un degré sans égal, ce qui implique une variabilité de conformation continue. Le froment, ainsi que nous le prouvent les restes trouvés dans les habitations lacustres de la Suisse, est une des plantes dont la culture est la plus ancienne, et cependant on en voit actuellement ap-

  1. Journ. Proc. Linn. Soc., 1853, vol. III, p. 60.