Page:Darwin - De la variation des animaux et des plantes sous l'action de la domestication, tome 2, 1868.djvu/330

Cette page a été validée par deux contributeurs.
323
CHANGEMENT D’HABITUDES.

Changements dans les habitudes, indépendamment de l’usage ou du défaut d’usage d’organes spéciaux. — Ce sujet, en ce qui concerne les facultés mentales des animaux, se confond tellement avec l’instinct, dont je traiterai dans un ouvrage futur, que je me bornerai seulement à rappeler ici les nombreux cas qu’on peut observer chez les animaux domestiques, et qui sont familiers à chacun, — ainsi l’apprivoisement de nos animaux, — les chiens qui arrêtent ou rapportent, — le fait qu’ils n’attaquent pas les petits animaux conservés par l’homme, etc. Il est rare qu’on puisse dire quelle part il faut attribuer dans ces changements à l’hérédité de l’habitude, ou au fait de la sélection des individus qui ont varié dans la direction voulue, indépendamment des circonstances particulières dans lesquelles ils ont pu se trouver. Nous avons vu que les animaux peuvent s’habituer à un changement de régime ; en voici encore quelques exemples.

Dans les îles Polynésiennes et en Chine, le chien est nourri exclusivement de matières végétales, et son goût pour ce genre de nourriture est héréditaire[1]. Nos chiens de chasse ne toucheront pas les os du gibier de plume, pendant que d’autres chiens les dévoreront avec avidité. On a dans quelques parties du monde nourri les moutons avec du poisson. Le porc domestique aime l’orge, le sanglier la dédaigne ; cette aversion paraît même être partiellement héréditaire, car quelques jeunes marcassins élevés en captivité refusaient de toucher à ce grain, tandis que d’autres de la même portée s’en régalaient[2]. Une personne de ma connaissance avait élevé de jeunes porcs issus d’une truie chinoise et d’un sanglier sauvage ; on les laissait libres dans le parc, et ils étaient assez apprivoisés pour venir d’eux-mêmes à la maison prendre leur nourriture, mais ils ne voulurent jamais toucher aux lavures que les autres porcs dévoraient avec avidité. Dès qu’un animal s’est habitué à un régime qui n’est pas le sien, ce qu’il ne peut ordinairement faire que pendant le jeune âge, il prend de l’aversion pour sa véritable nourriture, comme Spallanzani l’a constaté chez un pigeon qui avait longtemps été nourri de viande. Les individus d’une même espèce n’acceptent pas tous avec la même facilité

  1. Gilbert White, Nat. Hist. Selbourne, 1825, vol. II, p 121.
  2. Burdach, Traité de physiologie, t. II, p. 267.