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ACTION DÉFINIE

semblent prouver que la nature du poison est beaucoup plus l’agent efficace pour déterminer la forme de la galle, que ce n’est l’arbre lui-même.

Puisque la sécrétion vénéneuse d’insectes appartenant à des ordres différents possède le pouvoir spécial d’affecter la croissance de diverses plantes ; — puisqu’une légère différence dans la nature du poison suffit pour produire des résultats fort dissemblables ; — et enfin comme nous savons que les combinaisons chimiques sécrétées par les plantes sont très-sujettes à être modifiées par des changements dans les conditions extérieures, il est possible que certaines parties d’une plante puissent être affectées par l’action de ses propres sécrétions altérées. Comparons, par exemple, le calice visqueux et mousseux d’une rose mousse, qui surgit subitement par variation de bourgeons sur une rose de Provence, avec la galle de mousse rouge qui croît sur la feuille inoculée d’un églantier, et dont chaque filament se ramifie symétriquement comme un sapin microscopique, portant une extrémité glandulaire et sécrétant une matière gommeuse et odoriférante[1]. Ou comparons, d’une part, une pêche avec sa peau velue, son enveloppe charnue, sa coque dure et son amande ; et, d’autre part, une des galles les plus complexes avec ses couches épidermique, spongieuse et ligneuse, enveloppant un tissu chargé de grains de fécule. Il y a évidemment une certaine analogie entre ces conformations normales et anormales. Ou encore, réfléchissons à ces cas de perroquets chez lesquels le plumage a été embelli par quelque changement dans leur sang, causé par le fait qu’on les a nourris de certains poissons, ou qu’on leur a inoculé localement le venin d’un crapaud. Je suis loin de vouloir soutenir que la rose mousseuse, la coquille dure du noyau de pêche, ou les vives couleurs des oiseaux, soient effectivement dues à un changement chimique de la sève ou du sang, mais ces cas des galles et des perroquets sont éminemment propres à nous montrer comment des agents extérieurs peuvent singulièrement et puissamment affecter la conformation. Devant de pareils faits, aucune modification apparaissant dans un être organisé quelconque ne doit nous étonner.


  1. Lacaze-Duthiers, O. C., p. 325, 328.