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ACTION DÉFINIE

plumes de la partie qu’ils veulent peindre, et inoculent dans la blessure fraîche un peu de la sécrétion laiteuse de la peau d’un petit crapaud. Les plumes repoussent avec une couleur d’un jaune brillant, et si on les arrache de nouveau, on dit qu’elles repoussent de la même couleur, sans l’aide d’aucune opération nouvelle.

Bechstein[1] ne doute en aucune façon que chez les oiseaux en cage tenus à l’abri de la lumière, les couleurs du plumage ne soient au moins temporairement affectées. On sait que la coquille des mollusques terrestres est modifiée dans différentes localités suivant l’abondance du calcaire. I. Geoffroy Saint-Hilaire[2] cite le cas de l’Hélix lactea qui a récemment été importée d’Espagne dans le midi de la France et à Rio-Plata, et présente actuellement dans ces deux pays une apparence différente, mais on ne sait si on doit l’attribuer au climat ou à la nourriture. Quant à l’huître commune, M. F. Buckland m’apprend qu’il peut généralement reconnaître les coquilles de différentes localités ; les jeunes huîtres apportées du pays de Galles, et déposées dans des bancs d’huîtres indigènes, commencent au bout de deux mois à prendre les caractères de ces dernières. M. Coste[3] rapporte un cas de même nature beaucoup plus remarquable, relatif à de jeunes huîtres prises sur les côtes d’Angleterre et qui, transportées dans la Méditerranée, modifièrent de suite leur mode de croissance, et formèrent des rayons saillants et divergents, semblables à ceux de la coquille des vraies huîtres de la Méditerranée. La même coquille présentant les deux modes de croissance a été montrée dans une société à Paris. Enfin on sait que des chenilles, nourries d’aliments différents, peuvent ou acquérir elles-mêmes une autre coloration, ou produire des papillons de couleur différente[4].

Ce serait outre-passer mes limites que de vouloir discuter ici jusqu’à quel point les êtres organisés sont, dans l’état de nature, modifiés d’une manière définie, par les changements des conditions extérieures. J’ai, dans mon Origine des espèces, donné un rapide résumé des faits relatifs à ce point, et j’ai montré l’influence de la lumière sur les couleurs des oiseaux, du voisinage de la mer sur les teintes sombres des insectes et sur la succulence des plantes. M. Herbert Spencer[5] a récemment discuté ce sujet dans son entier sur des bases larges et générales, et admet que chez tous les animaux, les conditions extérieures agissent différemment sur les tissus internes et externes, qui diffèrent invariablement dans leur structure

  1. Naturgesch. der Stubenvögel, 1840, p. 262, 308.
  2. Hist. nat. gén., t. III, p. 402.
  3. Bull. Soc. Imp. d’Acclimat., t. VIII, p. 351.
  4. Expériences de M. Gregson sur l’Abraxus grossulariata, Proc. Entom. Soc., 1862. Ces expériences ont été confirmées par M. Greening, Proc. of Northern Entom. Soc., juillet 1862. — Pour les effets de la nourriture sur les chenilles, voir M. Michely, Bull. Soc. Imp. d’Accl., t. VIII, p. 563. — Dahlbom, pour faits semblables cher les Hyménoptères, Westwood, Modern Classif. of Insects, t II, p. 98. — Dr L. Möller, Die Abhœngigkeit der Insecten, 1867, p. 70.
  5. The principles of Biology, t. II, 1866. Les présents chapitres étaient déjà écrits lorsque j’ai eu connaissance de l’ouvrage de M. Herbert Spencer, de sorte que je n’ai pas pu m’en servir autant que je l’eusse probablement fait sans cela.