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DES CONDITIONS EXTÉRIEURES.

placés, sans l’aide de la sélection. Ainsi, le professeur Rütimeyer[1] a montré que tous les os des animaux domestiques peuvent se reconnaître parmi ceux des animaux sauvages, par leur apparence générale et l’état de leur surface. Il n’est pas possible, après avoir lu l’excellent ouvrage de Nathusius[2], de mettre en doute que chez les races les plus améliorées du porc, l’abondance de la nourriture n’ait exercé des effets marqués sur la forme générale du corps, sur la largeur de la tête et de la face, et même sur les dents. Nathusius appuie beaucoup sur le cas d’un porc de pure race du Berkshire, qui, à l’âge de deux mois, eut une maladie des organes digestifs, et fut, pour l’observation, conservé jusqu’à dix-neuf mois ; il avait à cet âge perdu déjà plusieurs des traits caractéristiques de sa race ; sa tête était devenue longue, étroite, fort grosse relativement à son petit corps et ses longues jambes. Mais, dans ce cas et quelques autres, nous ne devons pas conclure que, parce que certains caractères ont pu se perdre, peut-être par retour, sous l’influence d’un certain genre de traitement, ils doivent primitivement avoir été produits par un traitement opposé.

Pour le cas du lapin redevenu marron dans l’île de Porto-Santo, nous sommes d’abord fortement tentés d’attribuer la totalité de ses changements — la réduction de sa taille, l’altération de sa couleur, et la perte de certaines marques caractéristiques, — à l’action définie des nouvelles conditions dans lesquelles il s’est trouvé. Mais, dans tous les cas de cette nature, nous avons en plus à compter avec la tendance au retour vers des ancêtres plus ou moins reculés, et la sélection naturelle des nuances de différences les plus délicates.

Le genre de nourriture paraît quelquefois ou déterminer certaines particularités, ou être en quelque relation étroite avec elles. Pallas a, il y a longtemps, assuré que les moutons sibériens dégénéraient et perdaient leur énorme queue, lorsqu’on les enlevait à certains pâturages salés ; et Erman[3] a constaté plus récemment que le même fait se produit chez les moutons Kirghises quand on les amène à Orenbourg.

On sait que, sous l’influence du chénevis, les bouvreuils et quelques autres oiseaux deviennent noirs. M. Wallace m’a communiqué quelques cas encore plus remarquables de même nature. Les naturels de l’Amazone nourrissent le perroquet vert commun (Chrysotis festiva, Linn.) avec la graisse de gros poissons Siluroïdes, et les oiseaux ainsi traités deviennent magnifiquement panachés de plumes rouges et jaunes. Dans l’archipel Malais, les naturels de Gilolo changent d’une manière analogue les couleurs du Lorius garrulus, et produisent ainsi ce qu’ils appellent le Lori rajah ou Lori roi. Dans les îles Malaises et l’Amérique du Sud, ces perroquets, soumis à une nourriture végétale naturelle, comme le riz, conservent leurs couleurs propres. M. Wallace[4] rapporte un cas encore plus singulier. Les Indiens (Amérique du Sud) ont un procédé curieux au moyen duquel ils changent les couleurs des plumes de beaucoup d’oiseaux. Ils arrachent les

  1. Die Fauna der Pfahlbauten, 1861, p. 15.
  2. Schweineschädel, 1864, p. 99.
  3. Travels in Siberia, vol. I, p. 228.
  4. A. R. Wallace, Travels on the Amazon and Rio Negro, p 294.