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ACTION DÉFINIE

fras perd l’odeur qui le caractérise dans l’Amérique du Nord[1]. On pourrait citer beaucoup d’autres faits analogues, qui sont remarquables parce qu’on serait tenté de croire que des composés chimiques définis ne dussent pas être susceptibles d’être modifiés en qualité ou quantité.

Le bois du faux acacia américain (Robinia), tel qu’il croît en Angleterre, est à peu près sans valeur, comme l’est celui du chêne au Cap de Bonne-Espérance[2]. Le chanvre et le lin, d’après le Dr Falconer, prospèrent et donnent beaucoup de graines dans les plaines de l’Inde, mais leurs fibres sont cassantes et sans valeur. En Angleterre, d’autre part, le chanvre ne produit pas cette matière résineuse qu’on emploie si largement dans l’Inde comme substance narcotique et enivrante (hachisch). De faibles différences de climat et de culture influencent très-fortement le fruit du melon : aussi, d’après Naudin, il vaut toujours mieux améliorer une ancienne variété que d’en introduire une nouvelle dans une localité. La graine du melon de Perse produit à Paris des fruits inférieurs à ceux des variétés les plus ordinaires, mais donne à Bordeaux des produits exquis[3]. On importe annuellement du Thibet à Kashmir[4] de la graine qui donne des fruits pesant de quatre à dix livres, mais les plantes provenant de la graine levée au Kashmir ne produisent l’année suivante que des fruits de deux à trois livres. Les variétés américaines de pommiers qui, dans leur pays, produisent des fruits magnifiques et richement colorés, ne donnent en Angleterre que des pommes ternes et de qualité médiocre. Il existe en Hongrie beaucoup de variétés du haricot, qui sont remarquables par la beauté de leur graine, mais le Rev. M. J. Berkeley[5] a constaté que cette qualité ne se conservait pas en Angleterre, et que souvent leur couleur y changeait considérablement. Nous avons vu au neuvième chapitre, à propos du froment, les effets remarquables sur le poids du grain qui étaient résultés de son transport du nord au midi de la France, et vice versâ.


Alors même que l’homme ne peut apercevoir aucun changement chez des animaux ou plantes qui ont été exposés à un nouveau climat, ou à un traitement différent, les insectes peuvent quelquefois le reconnaître. Une même espèce de Cactus a été importée dans l’Inde, de Canton, de Manille, de l’île Maurice, et des serres chaudes de Kew ; il s’y trouve également un cactus soi-disant indigène, autrefois introduit de l’Amérique du Sud ; toutes ces plantes sont en apparence semblables,

  1. Sur les propr. médicales des Plantes, 1860, p. 10, 25, par Engel. — Pour les changements dans les odeurs, voir les expériences de Dalibert, citées dans Beckman, Inventions, vol. II, p. 344 ; et Nees, dans Férussac, Bull. des sc. nat., 1824, t. I, p. 69. — Pour la rhubarbe, Gard. Chronicle, 1849, p. 355 ; et 1862, p. 1123.
  2. Hooker, Flora Indica, p. 32.
  3. Naudin, Ann. Sc. nat., 3e  série, Bot., t. XI, 1859, p. 81. — Gard. Chron., 1859, p 464.
  4. Moorcrof’s Travels, etc., vol. II, p. 143.
  5. Gardener’s Chronicle, 1861, p. 1113.