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DE LA VARIABILITÉ.

degré de variabilité ; ainsi dans beaucoup d’espèces de Rubus, tandis que dans les R. cæsius et idæus, qui sont peu variables, le pollen est sain.

Dans beaucoup de plantes cultivées, telles que la banane, l’ananas, l’arbre à pain, et d’autres mentionnées précédemment, les organes reproducteurs ont été affectés au point que ces végétaux sont complétement stériles, et lorsqu’ils donnent de la graine, à en juger par le nombre de variétés cultivées qui en existent, les plantes levées de semis doivent être variables à un haut degré. Ces faits indiquent qu’il existe une relation entre l’état des organes reproducteurs et la tendance à la variabilité ; mais nous ne devons pas en conclure que ce rapport soit rigoureux. Quoiqu’un grand nombre de nos plantes cultivées puissent avoir leur pollen à un état altéré, elles n’en fournissent pas moins plus de graines, et nos animaux domestiques sont aussi plus féconds que les espèces correspondantes à l’état de nature. Le paon est presque le seul oiseau qui soit moins fécond à l’état domestique que dans son état naturel, et il a remarquablement peu varié. Il semblerait, d’après ces considérations, que les changements dans les conditions extérieures conduisent à la stérilité ou à la variabilité, et peut-être aux deux, et non que la stérilité provoque la variabilité. Au total, il est probable que toute cause affectant les organes de la reproduction doit également affecter leurs produits, — c’est-à-dire la progéniture à laquelle ils donnent naissance.

L’époque de la vie à laquelle agissent les causes déterminant la variabilité est encore un point obscur, qui a été discuté par plusieurs auteurs[1]. Pour quelques cas que nous donnerons dans le chapitre suivant, relatifs à des modifications héréditaires résultant de l’action directe de changements dans les conditions extérieures, il n’y a pas à douter que les causes n’aient agi sur l’animal mûr ou presque mûr. Certaines monstruosités qu’on ne peut pas nettement distinguer de variations peu importantes, sont souvent causées par des lésions survenues à l’embryon dans l’utérus ou dans l’œuf. Ainsi I. Geoffroy Saint-Hilaire[2] constate que les femmes des classes pauvres, obligées de se livrer, lors même qu’elles sont enceintes, à de pénibles travaux, et les femmes non mariées forcées de dissimuler leur grossesse, donnent, beaucoup plus souvent que les autres, naissance à des monstres. Les œufs de poule, dressés sur la pointe ou dérangés d’une manière quelconque, donnent fréquemment des poulets monstrueux. Il semblerait toutefois que les monstruosités complexes soient plus fréquemment déterminées à une période tardive qu’au commencement de la vie embryonnaire ; mais cela peut provenir en partie de ce qu’un point qui a été endommagé à l’origine du phénomène affecte ensuite, par sa croissance anormale, les autres points de l’organisation avant à se développer ultérieurement ; ce fait aurait moins de chance de se présenter pour les parties atteintes à une époque plus avancée[3]. Lorsqu’un organe devient

  1. Le Dr P. Lucas donne l’historique des opinions sur ce sujet dans Hérédité naturelle, 1847, t. I, p. 175.
  2. Histoire des anomalies, t. III, p. 499.
  3. Ibid., p. 392, 502.