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DE LA VARIABILITÉ.

Ce fait très-étonnant conduisit Naudin à examiner les deux espèces parentes, et il trouva que les jeunes plantes de D. ferox pures avaient, aussitôt après leur germination, des tiges pourpre foncé, s’étendant depuis les jeunes racines jusqu’aux cotylédons, et que cette teinte persistait toujours ensuite sous la forme d’un anneau entourant la base de la tige de la plante plus âgée. J’ai montré au treizième chapitre que la conservation ou l’exagération d’un caractère précoce est si intimement liée au retour qu’elle dépend évidemment du même principe. D’où nous devrions probablement regarder les fleurs pourpres et les tiges brunes de ces hybrides, non comme de nouveaux caractères dus à la variabilité, mais comme un retour à l’état antérieur de quelque ancêtre éloigné.

Ajoutons maintenant quelques mots à ce que, dans les chapitres précédents, nous avons dit de l’inégale transmission et combinaison des caractères propres aux deux formes parentes. Lorsqu’on croise deux espèces ou races, les produits de la première génération sont généralement uniformes, mais présentent ensuite la plus grande diversité de caractères. D’après Kölreuter[1], quiconque veut obtenir des variétés à l’infini n’a qu’à croiser et recroiser des hybrides. On observe aussi une grande variabilité lorsque des hybrides sont absorbés par des croisements répétés avec l’une ou l’autre de leurs formes parentes, encore plus, lorsqu’on mélange entre elles, par des croisements successifs, trois ou surtout quatre espèces ensemble. Au delà, Gärtner[2], à qui nous empruntons les faits précédents, n’a pas pu effectuer d’unions ; mais Max Wichura[3] a réussi à réunir sur un seul hybride six espèces distinctes de saules. Le sexe des espèces parentes affecte d’une manière inexplicable la variabilité des hybrides, et Gärtner[4] a toujours trouvé que, lorsqu’un hybride était employé comme père avec une des espèces parentes pures, ou une troisième comme mère, les produits étaient plus variables que lorsque le même hybride servait de mère, les formes parentes pures ou la troisième espèce servant de père. Ainsi des plantes levées de la graine du Dianthus barbatus, croisé avec l’hybride D. chinensi-barbatus, étaient plus variables que celles provenant de ce dernier hybride fécondé par le D. barbatus pur. Max Wichura[5] a obtenu un résultat analogue avec ses saules hybrides. Gärtner[6] assure encore que le degré de variabilité diffère quelquefois chez les hybrides provenant de croisements réciproques entre les deux mêmes espèces, sans autre différence que dans un cas on employait une espèce d’abord comme père, et dans l’autre comme mère. En somme, nous voyons que, en dehors de toute apparition de nouveaux caractères, la variabilité de générations successivement croisées est fort complexe, soit parce que leurs produits participent inégalement des caractères des deux formes parentes, soit surtout par suite de leur tendance inégale à faire retour à ces mêmes caractères, ou à ceux d’ancêtres plus reculés.


  1. Nova Acta, etc., 1794, p. 391.
  2. Bastarderzeugung, p. 507, 516, 572.
  3. Die Bastardbefruchtung, etc., 1865, p. 24.
  4. O. C., p. 452, 507.
  5. O. C., p. 56.
  6. O. C., p. 423.