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CAUSES

et plantes domestiques que chez les sauvages[1] ; et que pour les plantes on les observerait aussi bien à l’état naturel que cultivé. Dans l’état de nature, les individus d’une même espèce sont exposés à des conditions à peu près uniformes, car ils sont rigoureusement maintenus à leur place par une foule de concurrents, et sont depuis longtemps habitués à ces mêmes conditions ; mais celles-ci n’étant pas cependant d’une uniformité absolue, les individus sont susceptibles de varier dans une certaine mesure. Les conditions dans lesquelles se trouvent nos produits domestiques sont bien différentes ; ils sont à l’abri de toute concurrence ; ils n’ont pas seulement été soustraits à leurs conditions naturelles et arrachés à leur pays natal, mais aussi ont été souvent transportés dans diverses régions, où on les a traités d’une manière différente, de sorte qu’ils ne sont jamais restés longtemps soumis à des conditions tout à fait semblables. C’est pour cette raison que tous nos produits domestiques, à de rares exceptions près, varient beaucoup plus que les espèces naturelles. L’abeille, qui se nourrit par elle-même, et conserve la plupart de ses habitudes naturelles, est, de tous les animaux domestiques, le moins variable ; l’oie vient probablement ensuite ; encore cet oiseau varie-t-il beaucoup plus qu’aucun oiseau sauvage, au point qu’on ne peut avec certitude le rattacher à aucune espèce naturelle. On ne pourrait guère nommer une seule plante ayant été longtemps cultivée et propagée par graine qui ne soit devenue variable au plus haut point ; le seigle commun (Secale cereale) a fourni des variétés moins nombreuses et moins marquées que la plupart de nos autres plantes cultivées[2] ; mais il est douteux qu’on ait apporté grande attention aux variations de cette plante, la moins estimée de toutes nos céréales.

La variation par bourgeons, que nous avons précédemment et longuement discutée, nous montre que la variabilité peut être tout à fait indépendante de la reproduction séminale, ainsi que du retour à des caractères antérieurs dès longtemps perdus. Personne ne soutiendra que l’apparition subite d’une rose mousseuse sur une rose de Provence soit un retour à un état

  1. Isid. Geoffroy Saint-Hilaire, Hist. des anomalies, t. III, p. 352. — Moquin-Tandon, Tératologie végétale, 1841, p. 115.
  2. Metzger, Die Getreidearten, 1841, p. 39.