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SÉLECTION

longs intervalles de temps. Pendant les saisons normales, le bétail niata peut brouter aussi bien que le bétail ordinaire, mais il arrive occasionnellement, comme cela a eu lieu de 1827 à 1830, que les plaines de La Plata souffrent de sécheresses prolongées qui grillent les pâturages ; dans ces circonstances le bétail ordinaire et les chevaux périssent par milliers, mais il en survit un certain nombre qui ont pu se nourrir de branchilles d’arbres, de roseaux, etc. Cette ressource étant interdite au bétail niata à cause de sa mâchoire retroussée et de la forme de ses lèvres, il est nécessairement condamné à périr avant l’autre bétail, si on ne vient pas à son aide. D’après Roulin, il existe en Colombie une race de bétail presque nu, sans poils, qu’on appelle Pelones, qui réussit dans son pays natal, mais est trop délicate pour les Cordillères ; la sélection naturelle, dans ce cas, ne fait que limiter l’extension de la variété. Il est une foule de races artificielles qui, évidemment, ne survivraient jamais à l’état de nature, telles que les lévriers Italiens, — les chiens Turcs sans poils et presque édentés, — les pigeons Paons, qui ne peuvent pas voler contre le vent, — les pigeons Barbes, dont la vue est gênée par le développement des caroncules autour des yeux, — les coqs Huppés qui sont dans le même cas, à cause de leur énorme huppe, — les taureaux et béliers sans cornes, qui, ne pouvant par conséquent tenir tête à d’autres mâles, ont ainsi peu de chance de laisser une postérité, — les plantes sans graines, et beaucoup d’autres cas analogues.

Les naturalistes systématiques n’attachent généralement que peu d’importance à la couleur ; voyons donc jusqu’à quel point elle peut indirectement affecter nos productions domestiques, et quelle serait son action si on laissait ces dernières soumises à la puissance de la sélection naturelle. Je montrerai par la suite qu’il y a des particularités constitutionnelles des plus étranges, entraînant une susceptibilité à l’action de certains poisons, et qui sont en corrélation avec la couleur de la peau. J’en citerai un cas que je dois au professeur Wyman. Étonné de trouver que tous les porcs d’une partie de la Virginie étaient noirs, il apprit que ces animaux se nourrissaient de racines du Lachnanthes tinctoria, qui colore leurs os en rose, et occasionne la chute des sabots chez tous les porcs