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SÉLECTION.

simultanément être modifiés et renforcés ; mais on ne peut nier qu’un animal ne pût avoir son cou, sa tête, sa langue ou ses membres antérieurs un peu allongés, sans que les autres parties du corps dussent nécessairement présenter des modifications correspondantes ; mais ainsi légèrement modifié, l’individu, pendant une disette, par exemple, possédant un léger avantage sur les autres, et pouvant atteindre aux branchilles d’arbres un peu plus élevées, leur survivrait ; car quelques bouchées de plus ou de moins dans la journée peuvent faire toute la différence entre la vie et la mort. Par la répétition du même fait, l’entre-croisement éventuel des survivants, il y aurait un progrès, si lent et fluctuant qu’il puisse être, vers la structure si étonnamment coordonnée de la girafe. Si le pigeon Culbutant à courteface, avec sa tête globuleuse, son petit bec conique, son corps rond, ses petites ailes et ses pattes courtes, — tous caractères bien harmonisés, — eût été une espèce naturelle, on aurait regardé sa conformation comme parfaitement adaptée à sa vie ; cependant, d’après ce que nous avons vu, les éleveurs, étant forcés de prendre successivement point par point, ne peuvent jamais parvenir à améliorer toute la structure à la fois. Le lévrier, ce type parfait de grâce, de symétrie, de légèreté et de vigueur, ne le cède à aucune espèce naturelle sous le rapport d’une conformation admirablement coordonnée, avec sa tête effilée, son corps svelte, sa poitrine profonde, son abdomen relevé, sa queue de rat et ses longs membres musculeux, tout lui permettant d’atteindre une grande rapidité, et de forcer une proie faible. Or, d’après ce que nous savons de la variabilité des animaux, et des procédés différents que les éleveurs emploient pour améliorer leurs souches, — les uns s’occupant d’un point, les autres d’un autre, quelques-uns ayant recours aux croisements pour corriger les défauts, — nous pouvons être certains que, si nous pouvions embrasser toute la série des ancêtres d’un lévrier de premier ordre, en remontant jusqu’à son point de départ, un chien-loup sauvage, nous verrions un nombre infini de gradations insensibles, tantôt dans un caractère, tantôt dans un autre, mais conduisant toutes vers le type actuel. C’est par des pas peu considérables et incertains que la nature a progressé dans sa marche vers l’amélioration et le développement.