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HÉRÉDITÉ.

Nous pouvons, de ces divers faits, conclure que, chez l’homme, les doigts surnuméraires conservent, jusqu’à un certain point, une condition embryonnaire, et ressemblent sous ce rapport, aux doigts et aux membres normaux des classes inférieures des vertébrés. Il y a aussi entre eux et les doigts de quelques animaux inférieurs cette analogie, qu’ils excèdent le nombre de cinq ; car aucun mammifère, oiseau, reptile ou amphibien (à moins qu’on ne considère comme un doigt, le tubercule qui se trouve sur les pattes postérieures du crapaud et autres Batraciens anoures), n’a plus de cinq doigts, tandis qu’on rencontre quelquefois chez les poissons, une vingtaine d’os métacarpiens et phalangiens, qui, avec leurs filaments osseux, représentent apparemment nos doigts avec leurs ongles. Ainsi encore, dans certains reptiles éteints, les Ichthyopterygia, on peut trouver sept, huit, ou neuf doigts, fait qui, d’après le professeur Owen, est un indice significatif de leur affinité avec les poissons[1].

Il est difficile d’arriver à rattacher tous ces faits à une loi ; le nombre variable des doigts additionnels, — leur attachement irrégulier, tantôt au bord intérieur, tantôt au bord extérieur de la main, — tous les degrés qui peuvent être suivis depuis un simple rudiment de doigt jusqu’à une main double complète, — l’apparition occasionnelle chez le Triton de doigts supplémentaires, après l’amputation d’un membre, — tous ces cas paraissent n’être que des monstruosités flottantes, et c’est peut-être tout ce que nous pouvons en dire avec quelque certitude. Toutefois, comme dans les animaux supérieurs les doigts supplémentaires semblent, par leur propriété de reproduction et par leur nombre qui excède cinq, participer de la nature de ceux des animaux inférieurs ; — comme ils ne sont pas rares et se transmettent avec une certaine force ; — et que chez les animaux qui ont moins de cinq doigts, lorsqu’il en apparaît un supplémentaire, il est généralement dû au développement d’un rudiment visible ; — nous sommes conduits à soupçonner que, même en l’absence de tout rudiment réel et visible, il existe chez tous les mammifères, l’homme compris, une tendance latente à la formation d’un doigt additionnel.

  1. On the Anatomy of Vertebrates, 1866, p. 170. — Voir p. 166–168 pour ce qui concerne les nageoires pectorales des poissons.