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HÉRÉDITÉ.

vrages, et ceux qui m’ont été communiqués, en tout quarante-six personnes, ayant présenté des doigts surnuméraires sur une ou les deux mains et pieds. Si, dans tous les cas, les quatre extrémités eussent été semblablement affectées, nous aurions eu un total de quatre-vingt-douze mains, et autant de pieds à six doigts ; or, j’ai compté soixante-treize mains et soixante-quinze pieds ainsi caractérisés, ce qui prouve, contrairement à l’opinion du Dr Struthers[1], que les mains ne sont pas plus fréquemment affectées de cette difformité que les pieds.

La présence de plus de cinq doigts est une grande anomalie, car ce nombre n’est dépassé normalement chez aucun mammifère, oiseau ou reptile existant[2] ; et cependant, les doigts surnuméraires sont fortement héréditaires. Ils ont été transmis pendant cinq générations successives, et ont, dans quelques cas, disparu pendant une, deux, ou même trois générations, pour reparaître ensuite par retour. Ces faits sont d’autant plus remarquables que, comme l’a fait observer le professeur Huxley, on sait que la personne affectée n’en avait pas épousée une autre conformée de même, de sorte que la cinquième génération ne devait pas avoir plus de 1/32me du sang de son premier ancêtre sexdigité. D’autres cas sont plus remarquables encore, par le fait qu’à chaque génération l’affection paraissait devenir plus prononcée, quoique dans chacune la personne affectée se soit toujours mariée avec une qui ne l’était pas, et ces doigts additionnels ayant été amputés peu après la naissance, ils n’ont pas pu se fortifier par l’usage. Le Dr Struthers donne l’exemple suivant : « Un doigt supplémentaire parut sur une main à la première génération ; dans la seconde, sur les deux mains ; dans la troisième, trois frères l’eurent sur les deux mains, et un d’eux sur un pied ; à la quatrième génération, les quatre membres présentèrent l’anomalie. » Il ne faut pas cependant s’exagérer la force d’hérédité, car le Dr Struthers assure que les cas de non-transmission des doigts surnuméraires, ou de leur apparition dans des familles où il n’y en avait pas auparavant, sont plus fréquents encore que les cas héréditaires. Beaucoup d’autres déviations de structure, presque aussi anormales que les doigts supplémentaires, telles que des phalanges manquantes, des articulations renflées, des doigts courbés, etc., peuvent aussi être fortement héréditaires, présenter des intermittences et reparaître, sans qu’il y ait aucune raison d’admettre que, dans ces cas, les deux parents aient été affectés des mêmes déformations[3].

  1. Edinburgh new Phil. Journal, juillet 1863.
  2. Quelques anatomistes, comme Meckel et Cuvier, admettent que le tubercule qui se trouve d’un côté de la patte postérieure des Batraciens anoures représente un cinquième doigt. Lorsqu’on dissèque la patte postérieure d’un crapaud aussitôt qu’il a quitté l’état de têtard, le cartilage partiellement ossifié de ce tubercule ressemble beaucoup à un doigt. Mais, d’après une grande autorité sur ce sujet, Gegenbaur (Untersuchung zur vergleichenden Anat. der Wirbelthiere, Carpus und Tarsus, 1864, p. 63), cette ressemblance ne serait que superficielle et non réelle.
  3. Pour ces diverses assertions, voir Dr Struthers, O. C., surtout sur les interruptions dans la ligne de descendance. — Prof. Huxley, Lectures on our Knowledge of Organic Nature, 1863. p. 97. — Pour l’hérédité, voir Dr P. Lucas, O. C., t. I, p. 325. — Isid. Geoffroy, Anomalies, t. I, p. 701. — Sir A. Carlisle, Philos. Transact., 1814, p. 94. — A. Walker, Intermarriage, 1838, p. 140, cite un cas de cinq générations ; ainsi que M. Sedgwick, British