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STÉRILITÉ.

espèces de Poa et Festuca, croissant dans les pâturages de montagnes, se propagent, d’après ce que m’apprend M. Bentham, presque exclusivement par bulbilles. Kalm cite un cas plus curieux de plusieurs arbres américains[1], qui croissent en telle abondance dans des marais ou dans d’épaisses forêts, qu’ils sont certainement bien adaptés à ces stations, et cependant, n’y donnent presque jamais de graines ; tandis qu’il en sont chargés, s’ils se trouvent accidentellement en dehors des forêts ou des marais. Le lierre commun se trouve dans le nord de la Suède et de la Russie, mais il ne donne des fleurs et fruits que dans les provinces méridionales. L’Acorus calamus s’étend sur une grande partie du globe, mais il ne donne que si rarement de la graine parfaite, que peu de botanistes ont eu occasion d’en voir[2]. L’Hypericum calycinum, qui se propage si facilement dans nos plantations par rhizomes, et est naturalisé en Irlande, fleurit abondamment, mais ne produit point de graines ; il n’en a pas produit davantage dans mon jardin, même après avoir été fécondé par du pollen de plantes croissant à distance. La Lysimachia nummularia, qui est pourvue de longs coulants, produit si rarement des capsules de graine, que le professeur Decaisne[3], qui a beaucoup étudié cette plante, n’en a jamais vu en fruit. Le Carex rigida n’achève souvent pas sa graine en Écosse, en Laponie, au Groenland, en Allemagne, et à New-Hampshire aux États-Unis[4]. La pervenche (Vinca minor), qui s’étend largement par coulants, n’a presque jamais produit de fruits en Angleterre[5] ; mais comme cette plante exige le concours d’insectes pour être fécondée, il se peut que les insectes convenables y soient rares ou absents. La Jussiæa grandiflora a été naturalisée dans le midi de la France[6], et s’y est répandue par ses rhizomes, au point de devenir un obstacle à la navigation dans les eaux où elle habite, mais n’a jamais produit de graines fertiles. Le raifort (Cochlearia armoracia) qui s’étend avec ténacité et est naturalisé dans diverses parties de l’Europe, donne des fleurs qui ne produisent que rarement des capsules. Le professeur Caspary m’apprend qu’ayant suivi cette plante depuis 1854, il n’a jamais vu son fruit, ce qui n’est pas étonnant, car il n’a pas rencontré un grain de bon pollen. Le Ranunculus ficaria commun ne porte que rarement, d’autres disent jamais, de graines en Angleterre, en France et en Suisse ; j’ai observé cependant en 1863 des graines sur quelques plantes qui croissaient dans mon voisinage. D’après M. Chatin, il existe deux formes de cette renoncule, et c’est la forme bulbifère qui, ne produisant pas de pollen, ne donne pas de graines[7]. D’autres cas analogues pourraient être

  1. Travels in North. America (trad. angl., vol. III, p. 175).
  2. Dr Bromfield, Phytologist, vol. III, p. 376, pour le lierre et l’Acorus ; voir aussi Lindley et Vaucher pour l’Acorus.
  3. Ann. des sc. nat., 3e sér., t. IV, p. 280. — M. Decaisne cite des cas analogues pour les mousses et lichens près de Paris.
  4. M. Tuckerman, Silliman’s Americ. Journ. of Science, vol. xlv, p. 41.
  5. Sir J. E. Smith, English Flora, vol. I, p. 339.
  6. G. Planchon, Flore de Montpellier, 1864, p. 20.
  7. Sur la non-production de graines en Angleterre, Crocker, Gard. Weekly Magazine, 1852, p. 70. — Vaucher, Hist. phys. des plantes d’Europe, t. I, p. 33. — Lecoq, Géographie Bot. de l’Europe, t. IV, p. 466. — Dr D. Clos, dans Ann. des Sc. nat., 3e série ; Bot., t. XVII,