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DES ORGANES DE LA VÉGÉTATION.

Mirabilis qui, après une croissance luxuriante, n’avaient donné que des fleurs stériles, abattit sur l’une d’elles la plupart des branches, en n’en laissant qu’un petit nombre, qui donnèrent ensuite de l’excellente graine. La canne à sucre, qui croît avec vigueur et fournit en abondance des tiges succulentes, ne produit, d’après plusieurs observateurs, jamais de graines dans les Indes occidentales, Malaga, l’Inde, la Cochinchine, ou l’archipel Malais[1]. Les plantes qui développent beaucoup de tubercules sont sujettes à être stériles, comme cela a lieu, jusqu’à un certain point, chez la pomme de terre ; j’apprends de M. Fortune qu’en Chine, la patate (Convolvulus batatas), autant qu’il a pu le voir, ne produit jamais de graines. Le Dr Royle[2] remarque que, dans l’Inde, l’Agave vivipara, planté dans un sol riche, ne produit que des bulbes, mais pas de graines ; un terrain maigre et un climat sec donnent le résultat opposé. D’après M. Fortune, il se développe dans les aisselles des feuilles de l’igname une immense quantité de petits bulbes, mais la plante ne donne pas de graine. La question de savoir si, dans ces cas, comme dans ceux des fleurs doubles et des fruits sans graine, la stérilité sexuelle résultant de changements dans les conditions extérieures est la cause principale du développement excessif que prennent les organes de la végétation, peut être douteuse, quoiqu’on puisse invoquer quelques faits favorables à cette manière de voir. Mais il est peut-être plus probable que les plantes qui se propagent largement d’une manière, par bourgeons par exemple, n’aient plus assez de puissance vitale ou de matière organisée pour l’autre mode de reproduction par génération sexuelle.

Plusieurs botanistes éminents et des praticiens compétents admettent qu’une propagation longtemps continuée par boutures, marcottes, tubercules, bulbes, etc., indépendamment du développement excessif de ces différentes parties, est la cause pour laquelle de nombreuses plantes ne donnent pas de fleurs, ou ne produisent que des fleurs stériles, comme si elles avaient perdu l’habitude de la génération sexuelle[3]. Il n’y a aucun doute qu’un grand nombre de plantes propagées ainsi ne soient stériles, mais je ne me hasarderai pas, faute de preuves suffisantes, à affirmer que cette forme de reproduction longtemps continuée soit la cause réelle de leur stérilité.

Nous pouvons, d’après certaines plantes qui doivent longtemps avoir vécu à l’état de nature, conclure que les végétaux peuvent se propager par bourgeons et pendant de longues périodes, sans le secours de la génération sexuelle. Beaucoup de plantes alpestres remontent dans les montagnes au-dessus de la limite où elles peuvent produire les graines[4]. Certaines

  1. Hooker, Bot. Misc., vol. I, p. 99. — Gallesio, Teoria, etc., p. 110.
  2. Transact. Linn. Soc., vol. XVII, p. 563.
  3. Godron, de l’Espèce, t. II, p. 106. — Herbert, On Crocus, Journ. of Hort. Soc., vol. I, 1846, p. 254. — Dr Wight, d’après ses observations dans l’Inde, admet cette opinion. Madras Journ. of Lit. and Science, vol. IV, 1836, p. 61.
  4. Wahlenherg décrit huit espèces qui se trouvent dans cet état, dans les Alpes laponnes. Voir Appendice à Linné, Tour en Laponie, trad. par Sir J. E. Smith, vol. II, p. 274, 280.