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COMME CAUSANT LA STÉRILITÉ.

Nos animaux domestiques présentent néanmoins quelquefois un amoindrissement dans leur fécondité, lorsqu’ils se trouvent transportés dans des conditions différentes. Roulin affirme que, dans les chaudes vallées des Cordillères, sous l’équateur, les moutons ne sont pas très-féconds[1], et, d’après lord Somerville[2], les mérinos qu’il avait importés d’Espagne ne furent pas d’abord très-fertiles. On prétend que, les juments[3] qu’on met au vert, au sortir du régime sec de l’écurie, ne reproduisent pas de suite. La femelle du paon ne pond pas autant d’œufs en Angleterre que dans l’Inde. Il a fallu longtemps avant que le canari fût complétement fertile et, encore à l’heure qu’il est, les oiseaux de premier ordre et bons reproducteurs ne sont pas très-communs[4]. Le Dr Falconer m’informe que, dans la province chaude et sèche de Delhi, les œufs du dindon, quoique couvés par une poule, sont sujets à manquer. D’après Roulin, des oies transportées depuis peu sur le plateau élevé de Bogota pondirent d’abord rarement, et quelques œufs seulement ; un quart de ceux-ci purent éclore, et la moitié des jeunes oiseaux périt ; ils furent plus féconds à la seconde génération, et, à l’époque où Roulin écrivait, ils commençaient à être aussi fertiles qu’en Europe. Dans l’archipel des Philippines, on prétend que l’oie ne reproduit pas et ne pond même pas d’œufs[5]. D’après Roulin, l’espèce galline ne voulut pas reproduire à Cusco en Bolivie, lors de sa première introduction dans le pays, mais elle est depuis devenue complétement fertile ; la race de Combat, après son introduction en Angleterre, n’avait pas atteint un degré de fécondité bien considérable, car on s’estimait heureux de pouvoir élever deux ou trois poulets par couvée. En Europe, la réclusion de l’espèce galline exerce un effet marqué sur sa fertilité ; on a constaté qu’en France, chez les poules auxquelles on laisse une certaine liberté, il y a environ 20 pour 100 d’œufs qui ne réussissent pas, 40 pour 100 chez les poules qu’on laisse moins libres, et, chez celles qu’on tient enfermées, jusqu’à 60 pour 100 qui n’éclosent pas[6]. Il résulte de ce qui précède qu’un changement dans les conditions extérieures peut avoir de l’influence sur nos animaux les plus complétement domestiqués, à un degré moins prononcé, mais de la même manière que pour les animaux sauvages captifs.

Il n’est pas rare de rencontrer certains mâles et femelles qui ne veulent pas s’apparier, quoique étant parfaitement fertiles avec d’autres femelles et mâles. Comme il n’y a aucune raison de supposer que ces animaux aient été exposés à aucun changement de conditions ou d’habitudes, ces cas rentrent à peine dans notre sujet actuel et sont dus, selon toute apparence, à une incompatibilité sexuelle innée du couple qu’on veut apparier. Plusieurs cas de ce genre m’ont été signalés par M. W.-C. Spooner, M. Eyton, M. Wicksted, M. Waring de Chelsfield et d’autres éleveurs, chez les

  1. Mém. savants étrangers, 1835, t. VI, p. 347.
  2. Youatt, On Sheep, p. 181,
  3. J. Mills, Treatise on Cattle, 1776, p. 72.
  4. Bechstein, Stubenvögel, p. 242.
  5. Crawfurd, Descriptive Dict. of the Indian Island, 1856, p. 145.
  6. Bull. Soc. Acc., t. IX, 1862, p. 380, 384.