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PLANTES IMPUISSANTES PAR ELLES-MÊMES.

différent, elles ne produisent jamais une seule graine par leur propre pollen. Dans quelques cas, en outre, le pollen et le stigmate d’une même plante exercent l’un sur l’autre une action réciproque nuisible. La plupart des faits connus concernent les Orchidées, mais je commencerai par un exemple observé sur une famille fort différente.


Soixante-trois fleurs de Corydalis cava, provenant de plantes distinctes, furent fécondées par le Dr Hildebrand[1] au moyen de pollen pris sur d’autres plantes de la même espèce, et donnèrent cinquante-huit capsules contenant chacune 4.5 graines en moyenne. Ayant ensuite fécondé, les unes par les autres, seize fleurs portées sur le même racème, il n’obtint que trois capsules, dont une seule renfermait de bonnes graines, et au nombre de deux seulement. Enfin il féconda vingt-sept fleurs par leur propre pollen, en laissa cinquante-sept se féconder elles-mêmes, ce qui serait certainement arrivé, si cela eut été possible, car les anthères touchent le stigmate (le Dr Hildebrand a même constaté la pénétration, dans ce dernier, des tubes polliniques), et cependant pas une de ces quatre-vingt-quatre fleurs ne donna une seule capsule à graines. Cet exemple est fort instructif, et montre combien est différente l’action du même pollen, suivant qu’on le pose sur le stigmate de la même fleur, sur celui d’une autre fleur d’une même grappe, ou sur celui d’une plante distincte.

M. John Scott[2] a observé plusieurs cas analogues sur des Orchidées exotiques. Le pollen de l’Oncidium sphacelatum a un pollen efficace, au moyen duquel M. Scott a fécondé deux espèces distinctes ; ses ovules sont également susceptibles de fécondation, puisqu’ils ont pu être fertilisés par du pollen d’O. divaricatum ; cependant sur plus d’une centaine de fleurs fécondées par leur propre pollen, les stigmates ayant été pénétrés par les boyaux polliniques, pas une ne produisit une seule capsule. M. Robinson Munro, du jardin Botanique Royal d’Édimbourg, m’apprend aussi (1864), qu’il a fécondé avec leur propre pollen cent vingt fleurs de la même espèce, sans obtenir une seule capsule ; mais que huit fleurs fécondées par du pollen de l’O. divaricatum produisirent quatre belles capsules. De même, de deux à trois cents fleurs de cette dernière espèce, fécondées par leur pollen, ne donnèrent pas une capsule, tandis que douze de ces mêmes fleurs, fécondées par l’O. flexuosum, en produisirent huit. Nous avons donc là trois espèces complètement impuissantes par elles-mêmes, bien qu’elles soient pourvues d’organes mâles et femelles parfaits, comme le prouve leur fertilisation mutuelle, et chez lesquelles la fécondation n’a pu être effectuée que par l’intervention d’une espèce distincte. Mais, comme nous allons le voir, des plantes distinctes levées de graines, de l’Oncidium flexuosum, et probablement aussi des autres espèces, seraient parfaitement

  1. International Hort. Congress, London, 1866.
  2. Proc. Bot. Soc. of Edinburgh, Mai 1863, donne un extrait de ces observations ; d’autres y sont ajoutées dans Journal of Proc. of Linn. Soc., vol. VIII, Bot., 1864, p. 162.