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CAUSES QUI ENTRAVENT, ETC.

clusion, l’avortement fréquent du pollen sous le climat de Paris constituant une difficulté. Néanmoins, il a pu élever ensemble, pendant sept ans, quelques formes de Citrullus, qu’on regarde comme des variétés, parce qu’elles se croisent facilement et donnent des produits fertiles ; elles conservent toutefois leur type, si on ne les croise pas artificiellement. D’autre part, il y a quelques variétés du même groupe qui se croisent avec une facilité telle que, d’après Naudin, si on ne les tient pas très-éloignées, elles ne peuvent pas se maintenir constantes. Je signalerai encore un autre cas un peu différent, mais très-remarquable et parfaitement constaté. Kölreuter a décrit cinq variétés de tabac commun[1], qui furent réciproquement croisées et donnèrent des produits intermédiaires et aussi fertiles que les parents ; d’où il conclut qu’elles étaient de véritables variétés, ce dont, autant que je le sache, personne ne doute. Il croisa aussi ces cinq variétés réciproquement avec la N. glutinosa, et les produits furent très-stériles ; mais, ceux provenant de la variété perennis, employée tant comme plante paternelle que maternelle, le furent moins que les hybrides des quatre autres variétés[2]. Les capacités sexuelles de cette variété, ont donc été certainement un peu modifiées, de manière à se rapprocher de celles de la N. glutinosa[3].


Ces faits relatifs aux plantes montrent que, dans quelques cas, certaines variétés ont eu leurs pouvoirs sexuels modifiés, en ce sens qu’elles se croisent entre elles moins facilement et donnent moins de graines que les autres variétés des mêmes espèces. Nous verrons bientôt que les fonctions sexuelles de

  1. Zweite Fortsetz., p. 53. (1) Nicotiana major vulgaris ; (2) perennis ; (3) Transylvanica ; (4) une sous-variété de cette dernière ; (5) major latifol. fl. alb.
  2. Frappé de ce fait, Kölreuter craignit que, dans ses expériences, un peu de pollen du N. glutinosa ne se fût peut-être mélangé accidentellement à celui de la variété perennis, et n’eût ainsi aidé à son action fécondante. Mais nous savons maintenant d’une manière certaine, par Gärtner (Bastarderzeugung, p. 34, 43), que deux sortes de pollen n’agissent jamais conjointement sur une troisième espèce ; par conséquent, le pollen d’une espèce distincte, mélangé avec celui de la plante même, surtout si celui-ci est en quantité suffisante, aura encore moins d’effet. Le seul effet du mélange des deux sortes de pollen est de produire, dans une même capsule, des graines qui donnent des plantes tenant, les unes d’un des parents, les autres de l’autre.
  3. M. Scott a fait les mêmes observations sur la stérilité absolue d’une primevère pourpre et blanche (Primula vulgaris), fécondée par du pollen de la primevère commune (Journ. of Proc, of Linn. Soc., vol. viii, 1864, p. 98) ; mais ces observations demandent à être confirmées. J’ai levé de graines que m’a obligeamment envoyées M. Scott, un certain nombre de plantes à fleurs pourpres et à longs styles, et, bien que toutes offrirent un certain degré de stérilité, elles furent plus fertiles avec du pollen de la primevère commune qu’avec le leur. M. Scott a aussi décrit une primevère (P. veris), qu’il a trouvée très-stérile quand il l’a croisée avec la primevère commune ; mais cela n’a pas été le cas pour plusieurs plantes à fleurs rouges que j’ai obtenues de semis de sa plante. Cette variété présente la particularité remarquable de réunir des organes mâles en tout semblables à ceux de la forme à styles courts, avec des organes femelles ressemblant partiellement à ceux de la forme à longs styles ; il y a donc là l’anomalie singulière de deux formes combinées dans une même fleur. Il n’est pas étonnant alors que ces fleurs soient fertiles par elles-mêmes à un si haut degré.