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LE LIBRE CROISEMENT DES VARIÉTÉS.

Ce fait remarquable de l’affinité sexuelle des variétés similairement colorées, tel que l’ont observé MM. Scott et Gärtner, peut n’être pas très-rare, car personne d’autre ne s’est occupé de cette question. Je cite le cas suivant, comme un exemple de la difficulté qu’il y a à éviter des erreurs. Le Dr Herbert[1] a remarqué qu’on peut avec certitude lever de graine des variétés doubles et de diverses couleurs, de la passe-rose (Althea rosea), lorsque ces plantes croissent près les unes des autres. Les horticulteurs qui font de la graine pour la vente, ne séparent pas leurs plantes ; je me procurai donc de la graine de dix-huit variétés dénommées, sur lesquelles onze me donnèrent soixante-deux plantes parfaitement conformes à leur type ; les sept autres produisirent quarante-neuf plantes, dont une moitié fut conforme, et l’autre moitié fausse. M. Masters de Canterbury, m’a cité un cas encore plus frappant ; ayant recueilli de la graine de vingt-quatre variétés distinctes, plantées dans des raies voisines, toutes les variétés vinrent conformes à leur type, avec à peine une légère différence dans la nuance de quelques-unes. Dans la passe-rose, le pollen, très-abondant, est mûr et presque tout répandu avant que le stigmate de la fleur soit prêt à le recevoir[2], et, comme les abeilles couvertes de pollen, vont sans cesse d’une fleur à l’autre, il semble que les variétés avoisinantes ne puissent guère échapper à un croisement. Comme cependant cela n’arrive pas, il me parut probable que le pollen de chaque variété devait avoir sur celui de toutes les autres une action prépondérante sur son propre stigmate. Mais M. C. Turner de Slough, un habile horticulteur, m’apprend que c’est l’état double des fleurs qui empêche aux abeilles l’accès au pollen et au stigmate, et qu’il est même difficile de les croiser artificiellement. Je ne sais si cette explication peut rendre entièrement compte du fait de ces variétés croissant très-près les unes des autres, et se propageant néanmoins d’une manière aussi constante par graine.

Les cas suivants ont de l’intérêt, parce qu’ils concernent des formes monoïques, chez lesquelles la castration n’est par conséquent pas nécessaire. Girou de Buzareingues a croisé trois variétés de courges[3], et assure que leur fécondation réciproque est d’autant moins facile qu’elles présentent plus de différences. Les formes de ce groupe étaient, jusqu’à il y a peu de temps, très-imparfaitement connues, mais[4] Sageret, qui les a classées d’après leur fécondité mutuelle, regarde les trois formes précitées comme des variétés, ainsi que M. Naudin[5]. Sageret[6] a observé que certains melons ont une tendance plus prononcée, quelle qu’en puisse être la cause, à se maintenir plus constants que d’autres, et M. Naudin m’informe qu’il croit que certaines variétés se croisent plus facilement que d’autres de la même espèce ; il n’a cependant pas pu démontrer la vérité de cette con-

  1. Amaryllidaceæ, 1837, p. 366. Gärtner donne une observation analogue.
  2. Kölreuter, Mém. Acad. Saint-Pétersbourg, vol. III, p. 197. — C. K. Sprengel, Das entdeckte Geheimniss, p. 345.
  3. Les Barbarines, Pastissons, Giraumons, Ann. Sc. Nat., t. xxx, 1833, p. 398, 405.
  4. Mém. sur les Cucurbitacées, 1826, p. 46, 55.
  5. Annales des Sc. nat., 4e  série, t. VI. M. Naudin considère ces formes comme des variétés incontestables du Cucurbita pepo.
  6. Mém. Cucurbitacées, p. 8.