Page:Darwin - De la variation des animaux et des plantes sous l'action de la domestication, tome 2, 1868.djvu/111

Cette page a été validée par deux contributeurs.
104
MODIFICATION DES RACES

en dehors de laquelle on ne pouvait avoir aucune sécurité[1]. » Cette conviction n’était pas déraisonnable ; lorsqu’on croise deux races distinctes, les produits de première génération sont généralement uniformes de caractère ; mais cela n’est pas toujours le cas, surtout dans les croisements des chiens et des races gallines, dont les jeunes présentent quelquefois une assez grande diversité. Les animaux croisés étant généralement vigoureux et de forte taille, on les a produits en grande quantité pour la consommation immédiate. Mais pour la reproduction, on les a trouvés inutiles, car bien qu’étant eux-mêmes uniformes par leurs caractères, ils donnent, quand on les apparie ensemble, des descendants qui, pendant plusieurs générations, peuvent être étonnamment diversifiés. L’éleveur se désespère et conclut à l’impossibilité de faire une nouvelle race. Mais, d’après les cas que nous avons donnés, et un grand nombre d’autres connus, il paraît que ce n’est qu’une affaire de patience ; car selon la remarque de M. Spooner, la nature n’offrant pas d’obstacle au mélange, on peut arriver à créer une nouvelle race avec du temps, une sélection et une épuration rigoureuses. Après six ou sept générations, on obtiendra, le plus souvent, le résultat désiré, mais il peut même alors arriver un retour, et il faut s’y attendre. Toutefois la tentative échouera certainement, si les conditions extérieures se trouvent être décidément défavorables aux caractères de l’une ou de l’autre des races parentes[2].

Quoique les produits de la seconde génération et des suivantes soient généralement, chez les animaux croisés, d’une variabilité extrême, on a observé quelques exceptions curieuses à cette règle, tant dans des races que dans des espèces croisées. Ainsi, MM. Boitard et Corbié[3] assurent qu’en croisant un Grosse-gorge et un Runt, « il pourra apparaître un Cavalier, que nous avons rangé dans les pigeons de race pure, parce qu’il transmet toutes ses qualités à sa postérité. » L’éditeur du Poultry Chronicle[4] a obtenu du croisement d’un coq espagnol noir

  1. Spooner, Journ. Roy. Agric. Soc., vol. xx, p. ii.
  2. Colin, Traité de Phys. comp. des Animaux domestiques, t. II, p. 536, a fort bien traité ce sujet.
  3. O. C., p. 37.
  4. Vol. I, 1854, p. 101.