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DE L’UNIFORMISATION DES CARACTÈRES.

autre valeur que celles faites sans but scientifique par les éleveurs. Le cas le plus remarquable que je connaisse d’une durée persistante des effets d’un seul croisement, est celui donné par Fleischmann[1], à propos de moutons allemands ; la laine des moutons de la race grossière qui avait été le point de départ étant telle que 5,500 de ses fibres occupaient un pouce carré, il en fallait environ 8,000 par pouce carré après le troisième ou quatrième croisement avec le mérinos ; 27,000 après le vingtième ; du mérinos pur sang il entrait de 40,000 à 48,000 fibres par pouce carré. De sorte que, dans ce cas, le mouton ordinaire allemand, croisé successivement vingt fois avec le mérinos, était encore bien loin d’avoir acquis une laine aussi fine que celle de cette race pure. En tous cas, la rapidité de l’absorption devra dépendre largement de ce que les conditions extérieures seront plus favorables à quelque caractère particulier, et nous pouvons soupçonner que, sous le climat de l’Allemagne, il peut y avoir une tendance constante à la dégénérescence de la laine du mérinos, si elle n’est pas combattue et empêchée par une sélection attentive ; c’est ce qui expliquera peut-être le cas remarquable dont nous venons de parler. La rapidité de l’absorption doit encore dépendre des différences appréciables qui peuvent exister entre les deux formes croisées, et surtout, comme le dit Gärtner, de la prépondérance de transmission que peut avoir une des formes sur l’autre. Nous avons vu dans le chapitre précédent que, sur deux races françaises du mouton, l’une avait cédé et perdu ses caractères après croisement avec le mérinos, beaucoup plus lentement que l’autre ; l’exemple que nous venons de citer d’après Fleischmann est peut-être analogue. Mais dans tous les cas il y aura pendant plusieurs générations successives, une tendance plus ou moins prononcée au retour, et c’est probablement ce qui a conduit les auteurs à soutenir la nécessité d’une vingtaine de générations ou plus pour qu’une race soit entièrement absorbée par une autre. Nous ne devons pas non plus oublier, en envisageant le résultat final du croisement et du mélange de deux ou plusieurs races, que l’acte

  1. Cité dans True Principles of Breeding, par C. H. Macknight and Dr H. Madden, 1865, p. 11.