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VARIATIONS PAR BOURGEONS.

le soin de choisir de leur graine plutôt que celle des fleurs simples. Pendant deux ans de suite, toutes les fleurs précoces dans une plantation de Tigridia conchiflora[1] ressemblaient à celles de l’ancien T. pavonia ; mais les fleurs tardives reprenaient leur couleur normale d’un beau jaune tacheté de cramoisi. On a signalé un cas qui paraît authentique, de deux formes d’Hemerocallis[2] universellement regardées comme étant spécifiquement distinctes, et qui ont passé de l’une à l’autre, car les racines de l’espèce à grandes fleurs H. fulva, ayant été divisées et plantées dans un sol différent, ont produit la H. flava à petites feuilles jaunes, avec quelques formes intermédiaires. J’en suis à me demander si les cas de cette nature, ainsi que ceux de la décoloration ou du coulage des tulipes et des œillets panachés, — c’est-à-dire leur retour plus ou moins complet vers une teinte uniforme, — doivent être rattachés à la variation par bourgeons, ou réservés pour le chapitre où je traiterai de l’action directe des conditions extérieures sur les êtres organisés ; mais, dans tous les cas, ils ont ceci de commun avec les variations de bourgeons, que les changements s’effectuent par des bourgeons et non par reproduction séminale, avec la différence que dans les cas ordinaires de variation par bourgeons, un seul d’entre eux est affecté, tandis que dans les exemples précédents, tous les bourgeons de la plante sont modifiés à la fois. Nous avons cependant un cas intermédiaire dans celui de la pomme de terre, où les yeux d’un seul tubercule ont ensemble changé de caractère.

Je terminerai par quelques faits analogues, qu’on peut regarder comme dus, soit à une variation de bourgeons, soit à l’action directe des conditions extérieures. Lorsqu’on sort l’Hépatique commune de ses bois pour la transplanter dans un jardin, ses fleurs changent de couleur dès la première année[3]. Il est bien connu que lorsqu’on transplante les variétés améliorées de la Pensée (Viola tricolor), elles produisent des fleurs fort différentes par leur forme, leur taille et leur couleur ; ainsi ayant transplanté une grosse variété pourpre foncé d’une nuance uniforme pendant qu’elle était en fleur, elle me donna des fleurs beaucoup plus petites, plus allongées, avec les pétales inférieurs jaunes ; auxquelles succédèrent des fleurs marquées de larges taches pourpres, et finalement, à la fin de l’été, les grandes fleurs pourpres primitives. André Knight[4] regardait comme très-analogues aux variations de bourgeons, les légers changements qu’éprouvent quelques arbres fruitiers, lorsqu’on les greffe sur différentes souches[5]. Nous avons encore le cas de jeunes arbres fruitiers, qui, en vieillissant changent de caractères ; ainsi des poiriers provenant de graine, qui, avec l’âge, perdent leurs épines, et donnent des fruits de meilleur goût. Les bouleaux pleu-

  1. Gardener’s Chronicle, 1849, p. 565.
  2. Trans. Linn. Soc., vol. II, p. 354.
  3. Godron, O. C., t. II, p. 84.
  4. M. Carrière, dans Revue Horticole, 1er  déc. 1866, p. 547, décrit un cas fort curieux. Ayant, à deux reprises, greffé l’Aria vestita sur des Épines croissant en vases, ses greffes donnèrent des jets dont l’écorce, les bourgeons, les feuilles, pétioles, pétales et pédoncules de fleurs furent tous très différents de ceux de l’Aria. Les tiges greffées furent aussi plus robustes et fleurirent plus tôt que celles de l’Aria non greffé.
  5. Transact. Hort. Soc. vol. II, p. 160.