Page:Darwin - De la variation des animaux et des plantes sous l'action de la domestication, tome 1, 1868.pdf/39

Cette page a été validée par deux contributeurs.
23
LEUR ORIGINE.

dans les commencements, le lamantin n’avait aucune frayeur de l’homme ; il en a été de même dans plusieurs endroits du globe pour les phoques et le morse. J’ai montré ailleurs[1] comme les oiseaux, habitant certaines îles, n’ont acquis que lentement et héréditairement une terreur salutaire de l’homme : dans l’archipel des Galapagos, j’ai pu pousser avec le canon de mon fusil des faucons sur une branche, et voir des oiseaux se poser sur un seau d’eau que je leur tendais pour y boire. Les mammifères et oiseaux qui ont peu ou point été dérangés par l’homme, ne le craignent pas plus que nos oiseaux n’ont peur des chevaux et des vaches qui paissent autour d’eux dans les prés.

Une considération importante est celle que plusieurs espèces canines (comme nous le verrons dans un autre chapitre) se reproduisent facilement en captivité. L’infécondité de certaines espèces, dès qu’elles sont privées de leur liberté, est un des obstacles les plus communs à la domestication. Enfin, comme nous le verrons au chapitre de la sélection, les sauvages estiment le chien à une haute valeur, car cet animal, même à demi apprivoisé, leur est fort utile. Les Indiens de l’Amérique du Nord croisent leurs chiens demi-sauvages avec le loup, et les rendent ainsi plus sauvages encore, mais plus hardis. Les habitants de la Guyane s’emparent des petits de deux espèces sauvages de Canis, ceux d’Australie agissent de même avec ceux du dingo sauvage. M. Philippe King me dit avoir une fois élevé un dingo sauvage qui, dressé à conduire le bétail, lui avait été très-utile. Ces divers faits montrent qu’il n’y a aucune difficulté à admettre la domestication de plusieurs espèces canines dans différents pays. Il serait du reste bien plus étrange qu’une seule espèce eût été exclusivement domestiquée dans le monde entier.

Entrons dans quelques détails. Richardson, observateur exact et sagace, dit : « La ressemblance entre les loups de l’Amérique du Nord (Canis lupus, var. occidentalis), et les chiens domestiques des Indiens est telle, que la taille et la force plus grandes du loup constituent la seule différence. J’ai plus d’une fois pris une bande de loups pour les chiens d’un parti

  1. Journal of researches etc., 1845, p. 393. Voir p. 193 pour le Canis antarcticus ; pour l’antilope, voir Journal of the R. Geogr. Soc. t. XXIII, p. 94.