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FRAISIERS.

espèces, il est actuellement convaincu qu’elles descendent toutes d’une seule. Il a été conduit à cette conclusion par la gradation parfaite entre les caractères les plus extrêmes qu’il a trouvés chez les diverses variétés, et qui est si complète, qu’il regarde comme impossible de les classer par aucune méthode naturelle. M. Decaisne a élevé de graines un grand nombre de plantes appartenant à quatre formes distinctes, et a décrit avec soin les variations de chacune. Malgré leur haut degré de variabilité, on sait maintenant positivement que plusieurs variétés reproduisent par graine les caractères saillants de leur race[1].

Fraises (Fragaria), — Ce fruit est remarquable par le nombre des espèces qui en ont été cultivées, et par les améliorations rapides qu’elles ont éprouvées dans ces cinquante ou soixante dernières années. Il suffit de comparer les fruits des grosses variétés qu’on voit dans nos expositions, à ceux du fraisier sauvage des bois ou à ceux du fraisier sauvage de la Virginie, qui est un peu plus gros, pour pouvoir juger des prodiges effectués par l’horticulture[2]. Le nombre des variétés a également augmenté avec une rapidité extraordinaire. En France, où ce fruit a été cultivé depuis longtemps, on n’en connaissait, en 1746, que trois sortes. En 1766 on y avait introduit cinq espèces, les mêmes qu’on cultive aujourd’hui, mais on n’avait produit que cinq variétés, avec quelques sous-variétés, de la Fragaria vesca. Actuellement les variétés de ces différentes espèces sont presque innombrables. Les espèces sont : 1o le fraisier des bois ou des Alpes cultivé, provenant de la F. vesca, originaire d’Europe et de l’Amérique du Nord. Duchesne admet huit variétés européennes sauvages de la F. vesca, mais dont plusieurs sont regardées par quelques botanistes comme espèces distinctes ; 2o les fraisiers verts, provenant de la F. collina d’Europe, peu cultivés en Angleterre ; 3o les Hautbois, descendant de la F. elatior d’Europe ; 4o les Écarlates, descendant de la F. Virginiana, originaire de toute l’Amérique du Nord ; 5o le fraisier du Chili, provenant de la F. Chiloensis, originaire de la côte occidentale des parties tempérées des deux Amériques ; 6o enfin les Carolines, que la plupart des auteurs ont regardées comme une espèce distincte, sous le nom de F. grandiflora, et qu’on dit habiter Surinam ; mais il y a là une erreur évidente. Cette forme, d’après M. Gay, une autorité compétente, ne doit être considérée que comme une race prononcée de la F. Chiloensis[3]. Ces cinq ou six formes sont regardées par la plupart des botanistes comme spécifiquement distinctes, mais on peut avoir quelque doute à ce sujet, car A. Knight[4], qui a opéré sur les fraises plus de quatre cents croisements, affirme que les F. Virginiana, Chiloensis et grandiflora, se reproduisent entre elles indistinctement, et a reconnu, ce

  1. Gardener’s Chronicle, 1856, p. 804 ; — 1857, p. 820 ; — 1862, p. 1195.
  2. La plupart des plus grandes fraises cultivées proviennent des F. grandiflora ou Chiloensis, mais je n’ai vu aucune description de ces formes à leur état sauvage. La fraise « Methuen’s scarlat » (Downing, p. 527), dont le fruit est énorme, appartient à la section descendant de la F. Virginiana, et j’apprends du professeur A. Gray que le fruit de cette espèce n’est qu’un peu plus gros que celui de notre fraise commune des bois, la F. vesca.
  3. Le Fraisier, par le comte L. de Lambertye, 1864, p. 50.
  4. Transact. of Hort. Soc., vol. III, p. 207, 1820.