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PLANTES CULINAIRES.

ces formes géantes comme le Champion d’Angleterre, à feuilles énormes, à gousses pointues, dont les gros pois sont ridés, verts, et presque cubiques, — toutes les trois seraient regardées comme espèces distinctes.

A. Knight[1] a remarqué que les variétés de pois se maintiennent très-constantes, parce que les insectes ne contribuent pas à déterminer des croisements entre elles. J’apprends de M. Masters, de Canterbury, très-connu comme le créateur de plusieurs variétés nouvelles, que quelques variétés se sont conservées pendant fort longtemps, ainsi la variété Knight’s Blue Dwarf, qui a paru en 1820[2] ; mais la plupart n’ont qu’une existence très-courte ; ainsi Loudon[3] remarque que des formes qui étaient très-recherchées en 1821, ne se trouvaient plus nulle part en 1833 ; et en comparant les catalogues de 1833 avec ceux de 1855, je vois que presque toutes les variétés ont changé. La nature du sol paraît, chez quelques variétés, déterminer la perte de leurs caractères. Ainsi que pour d’autres plantes, certaines variétés peuvent se propager telles quelles, tandis que d’autres ont une tendance prononcée à varier ; ainsi M. Masters ayant trouvé dans une même gousse deux pois différents, l’un rond et l’autre plissé, remarqua chez les plantes provenant du pois plissé, une forte tendance à produire des pois ronds. Le même, après avoir obtenu d’une plante quatre sous-variétés distinctes, dont les pois étaient bleus et ronds, blancs et ronds, bleus et plissés, blancs et plissés, sema ces quatre variétés séparément pendant plusieurs années consécutives, et chacune d’elles lui donna toujours les quatre formes de pois indistinctement mélangées.

Quant aux croisements des variétés entre elles, je me suis assuré que le pois, différant en cela de quelques autres Légumineuses, est parfaitement fécondable sans le secours des insectes. J’ai cependant vu les abeilles suçant le nectar des fleurs, se couvrir si fortement de pollen, que celui-ci ne pouvait manquer de se déposer sur le pistil des fleurs visitées ensuite par l’insecte. D’après les informations que j’ai obtenues auprès de plusieurs grands cultivateurs de pois, peu les sèment séparément ; la plupart ne prennent pas de précautions ; et de fait j’ai pu m’assurer par mes propres observations, qu’on peut pendant plusieurs générations, obtenir des graines pures de différentes variétés croissant près les unes des autres[4]. M. Fitch m’apprend que dans ces conditions il a pu conserver pendant vingt ans une variété, sans qu’elle ait cessé d’être constante. Par analogie avec les haricots[5], je me serais attendu à ce qu’occasionnellement, après de longs intervalles, et une disposition à une légère stérilité survenant par suite d’une fécondation en dedans trop prolongée, des variétés ainsi rapprochées se fussent croisées entre elles ; et au onzième chapitre je signalerai deux cas de variétés distinctes, entre lesquelles a eu lieu un croisement spontané, le pollen de l’une ayant directement agi sur les graines de l’autre. Le renouvellement incessant des variétés est-il dû en partie à des

  1. Phil. Transactions, 1799, p. 196.
  2. Gardener’s Magazine I, p. 153, 1826.
  3. Encyclop. of Gardening, p. 823.
  4. Voir Dr Anderson dans Bath Soc. Agric. Papers, vol. IV, p. 87.
  5. Ces expériences sont détaillées dans Gardener’s Chronicle 25 Oct. 1857.