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FROMENT.

conservèrent leurs caractères propres. Ces faits montrent que de petits changements dans les conditions extérieures peuvent causer la variabilité, et en outre, qu’une variété peut finir par s’y habituer. On serait d’abord porté, avec Loiseleur-Deslongchamps, à conclure que le froment cultivé dans le même pays se trouve dans des conditions tout à fait uniformes ; mais les engrais diffèrent, les graines sont portées d’un sol à un autre, et ce qui est plus important, on évite aux plantes toute lutte avec les autres, ce qui leur permet d’exister dans des conditions diversifiées. À l’état de nature, chaque plante est limitée à la station particulière et au genre de nourriture qu’elle peut arracher aux plantes voisines qui l’entourent.

Le froment prend très-promptement de nouvelles habitudes. Linné avait classé, comme espèces distinctes, les froments d’été et d’hiver. Mais M. Monnier[1] a montré que la différence entre les deux n’est que temporaire. Il sema au printemps le froment d’hiver, dont quatre plantes seulement sur cent donnèrent des grains mûrs ; ceux-ci, semés et resemés, donnèrent, au bout de trois ans, des plantes dont tous les grains arrivèrent à maturité. Inversement, toutes les plantes levées du froment d’été, semées en automne, périrent par le gel ; cependant quelques-unes échappèrent, mûrirent, et, au bout de trois ans, la variété d’été se trouva convertie en variété d’hiver. Il n’est donc pas étonnant que le froment finisse par s’acclimater jusqu’à un certain point, et que des grains importés de pays éloignés et semés en Europe, végètent d’abord et même pendant assez longtemps[2], d’une manière autre que nos variétés européennes. Au Canada, les premiers colons, d’après Kulm[3], trouvèrent les hivers trop rigoureux pour le froment d’hiver qu’ils avaient apporté de France, et les étés souvent trop courts pour leur froment d’été ; et, jusqu’à ce qu’ils se fussent procuré du froment d’été des parties septentrionales de l’Europe, qui réussit fort bien, ils crurent que la culture du blé était impossible dans le pays. La proportion de gluten varie beaucoup suivant le climat, et celui-ci affecte rapidement le poids du grain. Loiseleur-Deslongchamps[4] ayant semé dans les environs de Paris, cinquante-quatre variétés provenant du midi de la France et de la mer Noire, trouva dans les produits de cinquante-deux d’entre elles, les grains de dix à quarante pour cent plus pesants que ceux des souches parentes. Ces grains plus pesants renvoyés et semés dans le midi de la France, produisirent immédiatement des grains plus légers.

Tous les observateurs qui ont étudié le sujet, insistent sur l’adaptation remarquable des nombreuses variétés de froment, aux divers sols et climats dans un même pays, et c’est ce qui fait dire au colonel Le Couteur[5] « que c’est par cette adaptation d’une variété spéciale à un sol donné, que le fermier peut arriver à payer son fermage en cultivant cette variété, tan-

  1. Godron, O. C., II, p. 74. — Metzger, O. C., p. 18, dit la même chose des orges d’été et d’hiver.
  2. Loiseleur-Deslongchamps, O. C., t II, p. 224. — Le Couteur, O. C., p. 70.
  3. Travels in North America, 1753–1761, t. III, p. 165 (trad. anglaise).
  4. O. C., part. II, p. 179–183.
  5. O. C., Introd. p. 7. — Marshall, O. C., vol. II, p. 9. — Voir pour quelques cas analogues d’adaptation des variétés d’avoine, quelques travaux intéressants dans Gardener’s Chron. et Agricult. Gazette, 1850, p. 204, 219.