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REMARQUES PRÉLIMINAIRES

ment découvertes, il me paraît étrange qu’il y ait autant de plantes cultivées, dont les formes primitives soient encore douteuses ou inconnues. Si, d’autre part, un grand nombre de ces plantes ont été profondément modifiées par la culture, la difficulté disparaît ; elle serait également levée par l’hypothèse de l’extermination des formes sauvages pendant les progrès de la civilisation, mais M. de Candolle démontre l’improbabilité que cela ait dû arriver souvent. Dès qu’une plante aura été cultivée dans une localité, ses habitants demi-civilisés n’auront plus eu besoin de la chercher sur toute l’étendue du pays, ce qui pouvait entraîner son extirpation complète, et même en supposant que cela ait pu arriver momentanément, pendant une disette, il en serait resté des graines dans le sol. Ainsi que Humboldt l’a remarqué depuis longtemps, dans les pays tropicaux, la luxuriance de la nature sauvage est au-dessus des faibles efforts de l’homme. Dans les pays tempérés anciennement civilisés, où la surface entière du sol a été considérablement changée, quelques plantes ont pu, sans aucun doute, être exterminées, néanmoins M. de Candolle a montré que toutes les plantes que, par les données historiques, on sait avoir été en premier lieu cultivées en Europe, y existent encore à l’état sauvage.

MM. Loiseleur-Deslongchamps[1] et de Candolle ont remarqué que nos plantes cultivées, et particulièrement les céréales, doivent avoir primitivement existé à peu près dans leur état actuel, car autrement, on ne les aurait pas remarquées et appréciées comme nourriture. Mais ces auteurs n’ont pas songé aux descriptions qu’ont données les voyageurs de la misérable nourriture que recueillent les sauvages. J’ai lu un récit relatif à des sauvages australiens qui, pendant une disette, avaient dû apprêter de diverses façons une foule de végétaux pour les rendre inoffensifs et plus nourrissants. Le Dr Hooker trouva les habitants à moitié affamés d’un village dans le Sikhim souffrant gravement pour avoir mangé des racines d’arum[2],

  1. Considérations sur les Céréales, 1842, p. 37. — Géogr. bot., 1855, p. 930. « Plus on suppose l’agriculture ancienne, et remontant à une époque d’ignorance, plus il est probable que les cultivateurs ont dû choisir des espèces offrant à l’origine même un avantage incontestable. »
  2. Le Dr Hooker m’a transmis ces renseignements. Voir aussi son Himalayan Journal, 1854, vol. II, p. 49.