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PIGEONS DOMESTIQUES.

Le lecteur se sera peut-être déjà demandé ce qui a pu pousser les éleveurs à tenter la création de races bizarres comme les Grosses-gorges, les Paons, Messagers, etc. C’est précisément ce qu’explique parfaitement la sélection inconsciente. Jamais aucun éleveur n’a fait intentionnellement une tentative de cette nature. Mais il suffit d’admettre, pour point de départ, une variation assez marquée pour avoir frappé l’œil de quelque ancien éleveur ; la sélection inconsciente des individus présentant cette variation continuée pendant un grand nombre de générations, sans autre but que celui de rivaliser avec d’autres éleveurs ses concurrents, a fait le reste. Nous pouvons par exemple admettre, dans le cas du Pigeon Paon, que le premier ancêtre de cette race avait la queue un peu redressée comme on le voit encore chez certains Runts[1], avec peut-être une augmentation dans le nombre des rectrices, comme cela a lieu chez quelques Coquilles. Pour les Grosses-gorges, on peut supposer qu’un oiseau a pu dilater son jabot un peu plus que les autres, comme cela existe à un faible degré chez le Turbit. Nous ne connaissons nullement l’origine du Culbutant ordinaire, mais nous pouvons admettre qu’il a dû naître une fois un oiseau, chez lequel une affection cérébrale a pu déterminer des sauts convulsifs dans l’air. Cela est d’autant plus explicable qu’avant 1600, on estimait, dans l’Inde surtout, les Pigeons remarquables par les particularités de leur vol, et qu’on les appariait avec une persévérance et des soins infinis, d’après les ordres de l’empereur Akber-Khan.

Nous avons, dans les cas précédents, supposé l’apparition d’une variation subite et assez apparente pour frapper l’attention de l’éleveur ; mais une telle brusquerie dans la variation n’est point indispensable, pour expliquer la formation d’une race nouvelle. Quand une forme de Pigeon a été maintenue pure, et produite pendant une longue période par plusieurs éleveurs différents, on peut souvent reconnaître de légères divergences entre les diverses familles. C’est ainsi que j’ai pu voir des Jacobins d’excellente race, en mains d’un amateur, différer légèrement par plusieurs de leurs caractères de ceux élevés par un autre. J’ai eu en ma possession quelques Barbes

  1. Voir Neumeister, Pigeon florentin, tab. xiii, dans Das Ganze der Taubenzucht.