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PIGEONS DOMESTIQUES.

retracer quelques points de la marche suivie par cette race dans sa formation. En 1735, Moore énumère très-exactement les points principaux qui font son mérite, mais sans décrire les diverses sous-races, d’où M. Eaton[1] conclut que la race Courte-face n’avait pas encore atteint sa perfection. Moore signale le Jacobin comme étant le plus petit Pigeon. Trente ans plus tard, en 1765, dans un ouvrage dédié à Mayor, les Courtes-faces-Amandes (Almond-Tumblers) sont complètement décrits ; mais l’auteur, un éleveur de Pigeons de fantaisie, dit expressément dans sa préface (p. xiv), qu’après beaucoup de dépenses et de soins, ils étaient arrivés à un tel point de perfection et si différents de ce qu’ils étaient vingt ou trente ans auparavant, qu’un ancien éleveur les aurait condamnés pour la seule raison qu’ils n’étaient pas conformes au type que de son temps on regardait comme le bon. Il semblerait qu’il y ait eu à cette époque un changement un peu subit dans les caractères du Culbutant courte-face, et on peut croire qu’il a dû apparaître alors un oiseau nain et un peu monstrueux, qui serait l’ancêtre des différentes sous-races Courtes-faces actuelles. Cette supposition me paraît justifiée par le fait que les Culbutants courtes-faces naissent avec un bec court, mais, comme chez les adultes, proportionné à la grandeur de leur corps ; différant par là beaucoup des autres races, qui n’acquièrent que lentement, pendant le cours de leur croissance, leurs caractères spéciaux.

Il y a eu depuis 1763 un changement dans un des caractères principaux du Culbutant courte-face, la longueur du bec. Les amateurs mesurent la tête et le bec depuis l’extrémité de celui-ci, jusqu’à l’angle antérieur du globe de l’œil. Vers l’année 1765, on regardait comme bons une tête et un bec[2] qui, mesurés de la manière usitée, avaient 7/8 de pouce de longueur ; actuellement ils ne doivent pas dépasser 5/8 de pouce ; « il est possible cependant, » avoue naïvement M. Eaton, « de regarder comme encore convenable un oiseau dont ces parties ne dépassent pas 6/8 de pouce, mais au delà il n’est digne d’aucune attention. » Le même auteur n’a jamais rencontré plus de deux ou trois individus dont la tête et le bec n’excédassent pas un demi-pouce de longueur ; mais il espère que dans quelques années ces parties pourront être encore raccourcies, et que des individus où elles ne dépasseront pas le demi-pouce ne seront plus une curiosité aussi rare que maintenant. À en juger par le succès soutenu avec lequel M. Eaton gagne les primes aux expositions de Pigeons, nous ne doutons pas de la réalisation de ses espérances. Nous pouvons finalement conclure des faits qui précèdent que le Culbutant importé d’Orient a été introduit en Europe, d’abord en Angleterre, et qu’il ressemblait alors à notre Culbutant commun, ou plus probablement au Culbutant persan ou indien, dont le bec n’est qu’insensiblement plus petit que celui du Pigeon de colombier ordinaire. Quant au Culbutant courte-face, qui est inconnu en Orient, il n’est pas douteux que les modifications remarquables qu’ont subies les dimensions de la tête, du bec, du corps, des membres, et son port

  1. Treatise on Pigeons, 1852, p. 64.
  2. J. M. Eaton, Treatise on the Breeding and Managing of the Almond Tumbler, 1851, page v de la préface, pp. 9 et 32.