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PIGEONS DOMESTIQUES.

d’été, s’abattaient quelquefois sur les branches dégarnies d’un vieux noyer voisin, la chose me paraît évidente[1]. Néanmoins, j’apprends par M. R. Scot Skirving, qu’il a souvent vu, dans la Haute-Égypte, des bandes de Pigeons s’abattre sur les arbres peu élevés, mais pas sur les palmiers, plutôt que sur les huttes de boue des indigènes. M. M. Blyth[2] m’informe que, dans l’Inde, la C. livia sauvage, var. intermedia, perche quelquefois sur les arbres. Je puis donner ici un exemple curieux d’un changement d’habitudes forcé : à la latitude de 28° 30′, le Nil est, sur un long parcours, bordé de falaises à pic, de sorte que, lorsque les eaux sont hautes, les Pigeons ne peuvent s’abattre sur la rive pour boire ; M. Skirving, dans ces circonstances, les a vus maintes fois se poser sur l’eau, et boire pendant qu’ils flottaient entraînés par le courant. De loin ces bandes de Pigeons ressemblaient à des troupes de mouettes à la surface de la mer.

S’il y avait une race domestique descendant d’une espèce non sociable, et perchant ou nichant sur les arbres[3], l’œil exercé des éleveurs aurait certainement découvert quelques traces d’une habitude primitive aussi différente. Nous avons en effet des raisons pour admettre une conservation assez durable d’habitudes primitives, même après une domestication prolongée. Ainsi nous voyons, comme trace de la vie originelle de l’âne dans le désert, la forte répugnance qu’il éprouve à traverser le plus petit courant d’eau, et le plaisir avec lequel il se roule dans la poussière. Le chameau, qui est cependant domestiqué depuis longtemps, éprouve la même répugnance à traverser les ruisseaux. Les jeunes porcs, quoique bien apprivoisés, se tapissent lorsqu’ils sont effrayés, et cherchent ainsi à se dissimuler même sur une place nue et découverte. Les jeunes dindons et même les poulets, lorsque la poule donne le

  1. J’ai appris, par Sir C. Lyell, de Mlle Buckley, que quelques métis Messagers gardés plusieurs années près de Londres, se posaient régulièrement le jour sur des arbres, et finirent par y percher la nuit, après avoir été dérangés dans leur pigeonnier, où on leur avait enlevé leurs petits.
  2. Ann. Mag. of nat. Hist. (2e série), t. XX, 1857, p. 509, et dans un volume récent du journal de la Société Asiatique.
  3. J’ai souvent remarqué dans les ouvrages sur les Pigeons écrits par les éleveurs, la croyance erronée qu’il n’arrive jamais aux espèces qu’on peut appeler terriennes de percher ou de nicher sur les arbres. On prétend, dans ces mêmes ouvrages, qu’il existe dans différentes parties du monde des espèces sauvages ressemblant aux principales races domestiques, mais que ces espèces sont totalement inconnues aux naturalistes.