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FERTILITÉ DES ESPÈCES CROISÉES.

éloignée et beaucoup plus chaude, et différant d’ailleurs par tant de caractères de notre bétail européen, j’ai cherché à savoir si les deux formes croisées entre elles étaient fertiles. Lord Powis avait importé quelques zébus, et les avait croisés avec le bétail commun du Shropshire ; son régisseur m’a assuré que les métis provenus de ce croisement avaient été parfaitement fertiles avec les deux races mères. Dans l’Inde, d’après M. Blyth, les métis à divers degrés de mélange des deux sangs, sont fertiles, et cela est si connu que dans quelques localités on laisse les deux espèces se reproduire librement entre elles[1]. Presque tout le bétail introduit primitivement en Tasmanie était à bosse, de sorte qu’il y eut un temps où il existait là des milliers d’individus croisés, et M. B. O’Neile Wilson m’écrit de Tasmanie qu’il n’a jamais eu connaissance d’aucun cas de stérilité. Possesseur lui-même d’un troupeau de bétail ainsi croisé, dont tous les individus se sont trouvés fertiles, il ne se rappelle même pas un seul cas de vache ayant manqué de vêler. Ces divers faits fournissent une confirmation importante de la doctrine de Pallas, que les descendants d’espèces qui, croisées entre elles à l’origine de leur domestication, seraient restées à quelque degré stériles, deviennent parfaitement fertiles à la suite d’une domestication prolongée. Nous verrons dans un chapitre futur que cette doctrine éclaircit beaucoup le sujet difficile de l’hybridité.

J’ai parlé du bétail du parc de Chillingham qui, selon Rütimeyer, s’est très-peu écarté du type du B. primigenius. Ce parc est si ancien, qu’il en est fait mention dans un document de l’an 1220. Ce bétail est réellement sauvage par ses instincts et ses mœurs. Il est blanc, l’intérieur des oreilles est d’un brun rougeâtre, les yeux bordés de noir, le museau brun, les pieds noirs, et les cornes blanches sont noires à l’extrémité. Dans un laps de trente-trois ans il est né environ une douzaine de veaux portant sur les joues et le cou des taches brunes et bleues, mais qu’on a détruits ainsi que tous les animaux défectueux. D’après Bewick, il apparut vers l’an 1770 quelques veaux ayant les oreilles noires, que le gardien détruisit également ; cette particularité ne s’est pas représentée depuis. Le bétail blanc sauvage du parc du duc d’Hamilton, où on a ob-

  1. Walther, Das Rindvieh, 1817, p. 30.