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PRÉFACE.

N’est pas éleveur qui veut : on naît Bakewell, on devient prince Albert. On peut acquérir assez de connaissances et d’expérience pour maintenir des races ; mais pour créer une race nouvelle, pour la développer dans ses caractères essentiels et dérivés, il faut avoir ce coup d’œil d’aigle qui distingue la moindre nuance dans la conformation de l’individu naissant, et cette qualité divinatrice qui entrevoit d’avance les modifications auxquelles ces variations donnent lieu, quand elles auront été accumulées dans une série des générations choisies et triées dans ce but.

Or que font ces mouleurs de la matière organique, sinon accumuler les petits effets qui peuvent se produire dans la nature, augmenter leur puissance par un choix judicieux des individus, qu’on unit dans un but déterminé et non pas au hasard des instincts comme le fait la nature ? On écarte ainsi les causes contraires qui pourraient anéantir de nouveau les effets obtenus. Nul doute que l’éleveur ne peut employer que des forces naturelles ; nul doute que ces forces n’agissent de même sans l’intervention calculée de l’homme ; mais nul doute aussi, qu’au milieu des chocs entre-croisés donnés et reçus pendant le combat incessant pour la vie, les effets produits ne soient plus souvent anéantis que conservés, et ainsi étouffés en naissant. En considérant attentivement le règne animal et végétal, nous constatons en effet que la variation dans l’hérédité est la règle ; que chaque individu porte avec lui la variation, qu’aucun ne ressemble à l’autre jusqu’au moindre détail. Mais les variations légères et souvent à peine appréciables que présentent les premiers