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Maroc. Il faut bien donner à l’armée un semblant de raison d’être.

En somme, en dehors du rôle policier et réactionnaire qu’elle peut avoir à jouer à l’intérieur, l’armée n’a point d’autre motif valable d’existence que l’outrecuidante vanité publique. Le temps où la France imposait son despotisme au monde est passé pour jamais. Son action morale même cesse peu à peu de se faire sentir ; les peuples étrangers abandonnent l’étude de sa langue. Son prestige, que des actes ne soutiennent plus, s’évanouit. Les paniers-percés diplomatiques qui la représentent partout, fantômes de Robert-Macaires et spectres de marquis de Carabas, achèvent de la discréditer ; ces personnages vitreux parviennent, on ne sait comment, à intercepter les pâles rayons que projette encore l’astre. Les frontières de la France circonscrivent son influence.

À l’intérieur, toute vie réelle a disparu ; on fonctionne au lieu d’agir ; on n’est mû ni par les nécessités d’une énorme expansion coloniale, comme en Angleterre, ni stimulé par les besoins d’un grand développement industriel et commercial, comme en Allemagne. Peut-être, après tout, la France a-t-elle dépassé cette longue période de civilisation irréelle où le prêtre, le marchand et le soldat dominent les préoccupations humaines, et ne conserve-t-elle que les apparences d’un état déjà aboli, virtuellement ; peut-être, sans s’en rendre compte elle-même, est-elle sur le point d’entrer dans une nouvelle phase d’existence, peut-être se trouve-t-elle sur le seuil d’une civilisation nouvelle et vraie. Quoi qu’il en soit, la situation présente de la France est lamentable. Sous l’œil narquois des charlatans à panaches et des charlatans à tonsures, elle se repaît et se soûle d’elle-même, s’hypnotise en la contemplation de sa capitale comme un fakir indien en celle de son nombril.

Il faudra cependant que la France se résolve à prendre une décision et qu’elle donne à son existence une signification et un but. Lorsque les vents glacés auront couvert de leurs sifflements les derniers flons-flons des orchestres,