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donner des ailes, au contraire. On dirait que ces barbares Teutons ne comprennent pas ce que ça veut dire : un Peuple. Ils n’ont pas l’air d’avoir le moindre respect pour les grands mots ; mais on va leur montrer ce qu’ils valent. En attendant, il paraît qu’ils s’avancent vers Paris à marches forcées.

M. Freeman disait hier à ma grand’mère que la lutte est devenue impossible ; que la continuer dans des conditions déplorables ne serait que travailler au triomphe d’un parti ; et que la France aurait tout intérêt à faire la paix. Mais M. Curmont pense autrement. Je ne lui parle pas, bien entendu, — et même je ne vois Adèle que de temps en temps à la dérobée — mais je l’entends. Il fait des discours de tous les côtés, crie, hurle, vocifère. Il dit que la guerre ne fait que commencer ; qu’on luttera jusqu’au dernier grain de poudre, jusqu’au dernier morceau de plomb ; que la paix ne sera possible que le jour où le dernier Prussien aura repassé la frontière. Il dit qu’il faut imiter nos pères, ces Géants.

Cependant, on adjure les gens valides de s’enrôler pour la défense du territoire. Il n’y a pas beaucoup d’hommes valides, à Versailles ; ou, au moins, le bureau de recrutement en voit très peu. L’autre matin, pourtant, un homme a franchi la porte de cet établissement, et a demandé à contracter un engagement. Il avait soixante-cinq ans et n’était pas Français. Comme on refusait de l’enrôler, à cause de son âge, il est sorti du bureau en pleurant. C’était M. Freeman.

Quant à Albert Curmont, il déclare partout qu’il ne se présente pas à l’enrôlement parce qu’il est trop faible de constitution. C’est rigolo, mais c’est comme ça. Il n’a pas de faiblesse dans le gosier, néanmoins. Il crie presque aussi fort que son père, et c’est vraiment chouette. Il crie : Vive la République ! Je sais ce que c’est que la République : c’est rigolboche (pour Albert Curmont). Il