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défaites, ne cesse de déblatérer contre le gouvernement impérial, et je comprends que ma place n’est pas chez lui. Pourtant, il lit tant de journaux, qu’il pourra peut-être me donner des nouvelles de mon père.

Il est assis dans son jardin, quand j’arrive, avec son fils et quelques amis de celui-ci qui viennent de Paris. Ils discutent tous à grand bruit, en présence d’un nombre imposant de bouteilles de bière.

— Badinguet, s’écrie M. Curmont, n’a même pas le courage d’abdiquer !

— Tant mieux ! répond le jeune homme à l’œil crevé, que les autres appellent Léon. S’il peut encore contribuer à un nouveau désastre, nous sommes sûrs de notre affaire.

— Chouette ! glapit Albert. Ce ne sera pas trop tôt.

— La France ne peut vaincre, dit sentencieusement le têtard qu’on appelle Petit-Gris, tant qu’elle conservera l’Empire. Qu’on proclame la République, et les jours de Valmy reviendront.

— Ce sera rien chic ! déclare Albert.

— En tous cas, dit M. Curmont, l’Empire, ce fumier, peut se flatter d’avoir travaillé pour nous, en déclarant cette guerre. Fameuse idée ! Laissez seulement les Prussiens envahir la Champagne, et vous verrez quel coup de balai le lion populaire donnera dans les Tuileries.

— Mince de rigolade ! ricane Albert. L’autre jour, en lisant le compte rendu de la bataille de Gravelotte, je me tenais les côtes. C’est tordant !

Moi, les comptes rendus des batailles ne me font pas rire. J’ai même un pressentiment que mon père y a été blessé ou tué, à cette bataille de Gravelotte qui fait tant rire Albert. Pourquoi rit-il d’une bataille, celui-là ? Les batailles ne les font pas rire, ceux qui se sont battus ! Pourquoi ne vont-ils pas se battre, ceux-là ? Qu’est-ce qu’ils font là, ce Léon, ce Petit-Gris, et cet Albert, qui