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Comment cela est-il possible ? Comment peuvent-ils être vaincus, décimés et mis en fuite, ces grenadiers, ces voltigeurs, ces chasseurs de Vincennes, ces lanciers, ces zouaves, ces dragons et ces cuirassiers que j’admirais, il y a quelques jours à peine, dans l’éclat de leurs uniformes et que j’ai vus partir si pleins d’enthousiasme et si sûrs de vaincre ? Comment la victoire a-t-elle pu les abandonner ?

— Et les turcos ! s’écrie Lycopode en pleurant. Il y a un mystère là-dessous, voyez-vous, Monsieur Jean ! Comment expliquer des choses pareilles ?

Je ne sais pas, je ne comprends pas. Je ne puis deviner la cause de nos revers. Et si j’étais tenté de leur donner une raison, j’attribuerais plutôt ces stupéfiantes défaites à une influence supérieure, mystérieuse, providentielle, qu’à des causes purement humaines. Une question, surtout, me préoccupe : Que fait l’Empereur ? Que va-t-il faire ? Pourquoi n’a-t-il rien fait jusqu’ici ? C’est un Napoléon, pourtant ; c’est le plus puissant souverain de l’Europe ; c’est l’arbitre du monde. Comment se fait-il que cette grande force, la plus puissante qui existe, hésite à se manifester ?…

De sombres récits, que m’a faits autrefois le colonel Gabarrot, me reviennent à l’esprit : Waterloo, la déroute, l’invasion… l’invasion ! Mais elle a commencé, déjà ! Les Prussiens sont en France. Ah ! que va-t-il se passer ? Il me semble entendre encore une des phrases du vieux colonel retentir à mes oreilles : « Il n’est pas bon que la France soit vaincue ; plus on tombe de haut, plus on s’aplatit »…

Sommes-nous vaincus, à présent ? Avons-nous eu des insuccès partiels et sans grande importance, ainsi que M. Freeman, l’autre jour, le disait à ma grand’mère ? Ou sommes-nous vaincus pour de vrai, pour de bon, comme à Waterloo ? Lycopode dit que non ; elle jure que