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« Nous allons mourir pour la France ! » Oui, Monsieur…

La vieille, assise dans un coin, essaie de dire quelque chose ; mais le vieux lui coupe la parole :

— Moi, Monsieur, j’étais dans cette chambre, quand il est entré avec son bataillon. Même qu’il m’a dit : « Nous allons mourir pour la France ! » qu’il m’a dit, dit-il…

— Veux-tu te taire ! glapit la vieille, de son coin ; t’étais dans le bois avec les p’tiots, vieux capon… T’as rien vu, rien de rien… Y n’vous disent que des menteries, monsieur, ajoute-t-elle, en se tournant vers moi ; j’étais toute seule ici, quand y sont venus. Y avait pas pus de colonel qu’y en a aujourd’hui, l’bon Dieu m’est témoin. Y avait qu’un sergent, et pis v’là tout. À preuve qu’y m’a dit : « Allez donc vous cacher dans le cellier, la mère ; c’est pas la peine que vous gobiez une prune. » À preuve…

Mais des exclamations indignées couvrent la voix de la vieille. Mari, enfants, petits-enfants, hurlent en même temps. La grand’mère a perdu la tête ; elle ne sait plus ce qu’elle dit ; elle bat la breloque. Un sergent ! Un sergent défendant la ferme de la Chevrette ! Est-ce possible !… Un colonel, Monsieur, le colonel Maubart…

Je sors de la ferme, écœuré. Tout est imposture, ici et ailleurs. — Est-ce qu’un petit nombre de Français à l’âme haute, persécutés toujours, et affreusement, dans leur pays, n’ont pas donné au monde l’illusion d’une France généreuse, noble et libre ? La légende, partout. La légende dominant des troupeaux qui n’ont point conscience d’eux-mêmes, le cerveau fangeux, la chair faite de mensonge.

Dès le matin, donc, c’est le dégoût qui m’envahit.



Les personnages officiels sont arrivés. Un banquet a eu lieu, au cours duquel on a porté beaucoup de toasts à