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l’acte commis par mon père ; et je refusais de me présenter à moi-même une condamnation ou une justification de cet acte, mon père n’ayant jamais conformé sa vie à un étalon moral, ou même immoral, ayant seulement cherché à vivre. Je sentais que j’aurais pu, au besoin, juger l’homme ; mais ses actes ! mais un de ses actes !… Puis, j’ai essayé de réfléchir, de prendre une détermination, de me tenir prêt, au moins, à faire face à toute éventualité ; mais l’énergie, encore, m’a fait défaut. Mon indifférente indolence a même fini par me persuader que je n’ai rien à craindre ; que Lahaye-Marmenteau, comme l’a prévu mon oncle, hésitera avant de rien tenter contre moi ; et que, le temps aidant, il cessera même de penser à me persécuter. Ma sécurité me semble de plus en plus certaine.

Un matin, cependant, je suis appelé chez le général gouverneur de la ville. Ce général, qui n’a encore que les deux étoiles bien qu’il ait presque atteint la limite d’âge, ne m’est pas inconnu ; je l’ai rencontré plusieurs fois chez mon père. C’est un homme de valeur. Mais ses opinions irreligieuses et bonapartistes, franchement avouées, lui ont barré la route des honneurs, ouverte seulement à la double hypocrisie républicaine et cléricale. Il n’a jamais pu pénétrer dans ces comités et ces services centraux, dans ces dortoirs et ces antichambres de toute espèce qui absorbent en France un nombre effrayant de généraux ineptes et assurent leur avancement ; qui leur procurent d’énormes traitements et des indemnités extravagantes ; qui constituent des sinécures ignorées partout, excepté chez nous. Il n’a jamais exercé que des fonctions actives, relativement mal rétribuées. Il me fait un accueil qui m’étonne un peu, très cordial certainement, mais manifestement embarrassé.

— Vous savez, me dit-il, que j’ai été l’ami de votre père. Je vais donc vous parler rondement, en toute franchise.