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avoue, bégaye presque. Je dépose froidement, implacablement ; quelque chose encore me crispe, me force à affirmer ma volonté, mon pouvoir. Les témoins, des soldats, déposent aussi ; plus implacables même que moi ; heureux, visiblement, d’exhiber leur servilité. Le réquisitoire réclame une condamnation exemplaire ; Fermaille est une mauvaise tête qui tenait sur ses chefs des propos horribles, si l’on en croit une rumeur publique qui en ébruitait en ville la nouvelle. L’acte qu’il a commis, en jetant à la tête de son capitaine le ceinturon qui confirme les bruits répandus sur son compte, est abominable ; l’officier, qui n’a pas été atteint, étourdi par la douleur et le danger, a été frappé dans son prestige. Quel doit être le châtiment d’un pareil crime ? La mort ! L’avocat d’office, un sous-lieutenant, présente la défense de l’accusé ; il fait appel à la clémence du Conseil. Le jugement est rendu. Des circonstances atténuantes ayant été accordées, ce ne sera pas la mort. Vingt ans de travaux publics — seulement.

La vie du nommé Fermaille est donc brisée. Et pourquoi pas ? Puisque les citoyens acceptent le système militaire actuel, qu’ils l’acceptent avec toutes ses conséquences. Ce n’est pas fini. Je vais faire du service. J’en fais. Je me reprends — ou plutôt, pour la première fois, je me prends de goût pour ma profession. En peu de temps, j’acquiers dans le régiment une réputation épouvantable. Il y a des pleurs — mais pas de grincements de dents. — Pleurez donc, — jean-foutres !

J’écrirai avec une plume. J’écrirai avec un sabre. J’écrirai avec un couteau de boucher. La chair qui ne veut point être libre, « qui se méprise », doit être traitée comme de la viande — comme de la charogne.