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Sébastopol ; ils n’y sont plus ; c’est l’aigrefin à tuyau-de-poêle et à guêtres blanches, accroupi là-bas dans un char-à-bancs, qui les a effacés, avec sa lime.

Et l’Autocrate part au galop, soudain. Suivi d’une armée de généraux galonnés, chamarrés, brodés, étincelants d’étoiles, de croix, de médailles, de crachats, de cordons, de rubans, d’aiguillettes. « Ils brillent tous, mais non de leur propre lumière : ils empruntent leurs rayons aux regards du Maître. » Le Maître passe sur le front des régiments — un pauvre être, chafouin, étique, jaunâtre, à l’œil inquiet et sournois. — Le Maître passe sur le front des régiments dont les drapeaux frémissent, désespérés, en de grands efforts pour s’envoler des hampes, lances de Cosaques, auxquelles les clouèrent les Vaincus.

Au bruit de musiques éructant des hymnes russes et vomissant des marseillaises, au bruit des acclamations de foules délirantes, le défilé commence. Les troupes de la République Française, ivres d’orgueil, défilent devant l’Autocrate. Infanterie, cavalerie, artillerie, l’Armée de la Revanche, l’Armée qui est prête, l’Armée qui est prête à donner sa vie — pour le Czar… Spectacle sublime, grandiose, enivrant, qui devrait m’emplir d’enthousiasme, moi aussi, et de fierté… Mais… mais… Grillenhaftes Herz, warum tirilierst du nicht ?



Le dégoût que m’a causé l’avilissement national a été tellement violent que je n’ai pu m’empêcher d’exprimer à plusieurs reprises mon opinion. Et le capitaine de Bellevigne vient de me prévenir que mes propos ont été rapportés en haut lieu, et que je puis m’attendre à une disgrâce.

En effet, je reçois brusquement avis que je suis affecté au régiment d’infanterie qui tient garnison à Sandkerque.