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Le brave général est expansif et n’hésite pas à me laisser voir, comme on dit, le fond de son sac. Il prononce des phrases comme celles-ci :

— Le soldat n’est que de la matière brute… Les armées démocratiques ! Quelle imbécile utopie !… Ce qui vous manque, c’est un gouvernement fort avec un prince, un empereur à sa tête ; nous vous tenons en réserve l’homme providentiel… La suppression de la Pologne a été une excellente chose ; elle a réduit énormément les causes de guerre entre les grands États… Une guerre, dans l’état présent des esprits, serait une catastrophe ; elle amènerait certainement une révolution sociale. Mais nous tiendrons la main à ce qu’il n’y ait pas de guerre ; les expéditions coloniales suffiront à faire pousser la graine d’épinards… Maintenant que l’alliance franco-russe est conclue, mon auguste maître va s’occuper de la suppression progressive des grandes armées nationales ; un désarmement partiel s’impose ; il faut revenir au principe des armées réduites, seuls instruments efficaces et sûrs au service des Pouvoirs forts…

Des envies me prennent parfois de souffleter ce garde-chiourme convaincu de son importance, orgueilleux de sa tunique à plis, couleur vert-bouteille, fier de son pantalon bleu à bandes rouges bouffant au-dessus des bottes. Mais je me contiens ; j’approuve ; j’admire ; j’applaudis.

La revue. L’immense plaine s’embrase d’une flamme d’acier. L’immense plaine où l’épée d’Aëtius faucha les hordes d’Attila. L’immense plaine où l’épée de la France…

Elle pend au côté du Barbare, l’épée de la France ; elle se cache, rouge de rouille, peut-être de honte, dans le fourreau de l’Autocrate ; elle appartient à l’Autocrate, qui a consenti à l’accepter, à la fin ; à la ramasser sur un tas d’or ; et qui l’accrochera, ce soir, à côté de son knout. Il y avait des noms gravés sur la lame : Zurich, Austerlitz, Friedland, Eylau, Borodino, Krasnoë, La Bérésina,