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associés, puisque la vie nous avait imposé l’association ! Et il m’a abandonné, il a manqué au contrat ; il est là, inerte, grotesque… il n’est plus là. Alors, quoi ?… Sa mort me semble une désertion. C’est une désertion.

C’est plus encore. C’est la fin, non pas seulement d’un homme, mais de toutes les choses auxquelles je m’efforçais de croire à travers cet homme. C’est l’évanouissement définitif de convictions spectrales qu’évoquait en moi son geste. C’est l’écroulement du prestige militaire, du prestige français, de l’Armée, de l’Épaulette, de tout. C’est comme si tout, tout, était mort avec ce mort. Comme si ce cadavre était le cadavre de la Société entière…

— Ah ! qu’il est pâle ! Ha ! Ha ! Ah ! qu’il est pâle ! ricane une voix derrière moi.

Je me retourne. C’est Lycopode qui vient d’entrer dans la chambre où je me croyais seul.

— Ah ! oui, alors, on peut le dire, qu’il est pâle ! continue-t-elle, en se dandinant ; je ne l’ai jamais vu blanc comme ça depuis le jour où Jean-Baptiste lui a dit ses quatre vérités, à Versailles. Vous rappelez-vous, Monsieur Jean ?…

Lycopode est ivre. Je me souviens d’avoir entendu dire que la vieille femme s’était mise à boire. C’est avec difficulté que je la décide à quitter la chambre…

Dans l’après-midi, de nombreuses visites de condoléances. Fonctionnaires civils et militaires, amis et connaissances, beaucoup de dames. Des fleurs arrivent, des croix, des couronnes. Tout cela, peu à peu, appelle hors de l’ombre, où je les avais vues s’effondrer ce matin, toutes les choses qui n’étaient point mortes. Elles montent, elles montent, triomphantes de plus en plus, s’affirment autour du cadavre. Et dans cette chambre mortuaire, maintenant parée, fleurie et comme vivante, surgit le prestige de la France, en fierté !