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— Mais pourquoi la présence de Raubvogel est-elle nécessaire ?

— Ha ! Ha ! s’écrie mon père, c’est que le cousin a une jolie petite vengeance à tirer des Dreikralle. Écoute-moi et tu verras que, bien que tu aies été au Tonkin, tu n’en connais pas aussi long sur cette colonie que moi qui suis toujours resté à Paris. Une Société s’était formée, il y a deux ans environ, pour exploiter le monopole de l’opium en Indo-Chine. Elle avait à sa tête : M. Raubvogel, directeur pour l’Europe ; M. de Saint-Joséphin, directeur pour l’Indo-Chine ; et MM. Camille Dreikralle et Ganivais comme agents généraux accrédités auprès du gouvernement pour les rapports ordinaires de la Compagnie avec les administrations publiques. Ne ris pas. C’est très sérieux. Je ne te dirai pas par quels moyens cette Société obtint la ferme de l’opium ; tu comprends qu’il s’agit d’une pression, motivée, sur le gouverneur-général. Pendant dix-huit mois, la Compagnie, qui avait fort mal exploité son monopole, refusa de tenir ses engagements et de verser un centime dans les coffres de la colonie. Non contente de se soustraire à ses obligations, elle menaça même de demander des dommages-intérêts. Une clause du contrat donnait au gouverneur-général le soin de prévenir la contrebande. Et la Compagnie assurait que le gouvernement ne réprimait pas la contrebande ; la Compagnie en était d’autant plus sûre, entre nous, que c’est elle-même qui organisait et facilitait la contrebande. Le gouverneur-général essaya de montrer les dents ; aussitôt, une campagne terrible commença contre lui dans la presse parisienne ; la Nation Française, organe de Dreikralle, et la Lutèce, journal de Ganivais, attaquèrent avec la dernière violence l’administration du Tonkin. Le gouverneur-général, effrayé, se décida à signer la convention de rachat du monopole, comme le lui proposait M. de Saint-Joséphin. La Compagnie reçut une indemnité de quatre millions,