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— Je désirerais vous parler, lui dit-il ; voulez-vous m’accorder quelques instants d’entretien ?

— Très volontiers, répond-elle avec étonnement. De quoi s’agit-il ?

— Je vais vous l’apprendre aussi brièvement que possible, dit Me  Hardouin en s’asseyant et en faisant signe à sa femme de l’imiter. Depuis deux ans, nous ne sommes mariés que de nom. Pour mon compte, je vous ai beaucoup aimée physiquement. Je vous ai épousée, vous le savez, pour votre beauté ; non pas par coup de tête, mais par raison. J’ai de mauvais instincts, voyez-vous ; des instincts anti-sociaux. Je m’en suis toujours méfié, mais je n’ai jamais pu les dompter. La grande défiance que j’ai de moi-même m’a poussé à ne point m’établir à Paris, comme je l’aurais pu, et à venir accrocher mes panonceaux à Malenvers. Ce que j’ai fait sous ces panonceaux, ce qui s’est passé dans mon étude, j’aime autant ne pas vous le dire en détail. Vols, escroqueries, spoliations, faux, mensonges, horreurs de toutes sortes. C’est le bilan de la profession ; mais je l’ai enluminé de culs-de-lampe inédits. Nous sommes des corbeaux, mais j’ai joué le vautour ; j’ai risqué le bagne trois cents fois. L’attachement profond de ma première femme, qui m’avait deviné, l’affection énorme que je porte à ma petite fille, n’ont pu me retenir. J’espérais que le violent amour physique que vous m’inspiriez tuerait en moi les dangereux instincts. Au bout de quelques mois, j’ai été détrompé. De là est venu, subitement, ma froideur envers vous. Je vous ai dédaignée. Vous avez pris votre revanche, votre revanche de femme. Vous avez bien fait.

Mme  Hardouin ne proteste pas, ne fait pas un geste ; elle écoute, immobile, comme hypnotisée par son mari. Le notaire reprend :

— Il vaudrait mieux, à tous les points de vue, que nous reprissions chacun notre liberté. C’est une chose