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cordiale ; et, telle est ma simplicité vaniteuse ou nonchalante, il me semble tout naturel qu’il en soit ainsi.

C’est pourquoi ma surprise est grande lorsque, deux jours plus tard, j’apprends indirectement qu’il n’est bruit, au régiment et en ville, que de mon prochain mariage avec Mlle  Pilastre. Après réflexion, je me décide à feindre d’ignorer ces rumeurs ; mais je me promets aussi, me rappelant que l’amabilité de l’accueil qui me fut fait avait quelque chose d’insolite, d’étudier sérieusement les hôtes du Valvert à ma prochaine visite au château.

Je n’y manque point. Et je m’aperçois assez facilement qu’on a des vues sur moi. On a tort ; je ne me marierai point, je m’en fais le serment à moi-même. Et là-dessus, je laisse venir. Mlle  Pilastre est une jeune fille de vingt ans, jolie, mais très visiblement difforme ; cette difformité paraît-il, est le résultat d’un accident. Intelligente, je le crois ; sans pourtant pouvoir l’affirmer. Mlle  Pilastre parle peu ; sa timidité est très grande. Elle paraît décontenancée, dépaysée ; elle a l’air peu accoutumée à la comtesse, sa tante, et au comte de Movéans, son oncle par alliance ; elle semble n’avoir jamais vu le jeune vicomte. Ce sont là, m’a dit l’abbé, des choses qui s’expliquent aisément. Mlle  Pilastre a toujours vécu très en dehors de sa famille ; son père, le grand industriel parisien, était complètement pris par ses affaires ; sa mère, qui mourut en 1886, avait une si mauvaise santé qu’il ne lui fut jamais possible de s’occuper de son enfant. La jeune fille a donc été élevée par sa marraine, Mlle  de Lahaye-Marmenteau, sœur du général qui lui-même fut parrain de l’enfant. Mlle  Pilastre, sur l’avis des médecins, a presque toujours vécu dans le Midi ; elle n’a eu que peu d’occasions de voir ses parents ; de plus, elle est d’un naturel assez réservé. Les yeux et les cheveux très noirs, la peau mate de Mlle  Pilastre rappelant fortement le type italien, je cherche à savoir si Mme  Pilastre, la mère, était Italienne. L’abbé